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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/507

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LES VANLOO.

Carle Vanloo fut retenu à Turin par le roi de Sardaigne pour décorer ses palais et ses églises. À Turin, ses œuvres les plus remarquées furent ses onze tableaux inspirés de la Jérusalem Délivrée, et sa Diane au retour de la chasse. Pour les tableaux de la Jérusalem Délivrée, il fut digne du Tasse par la couleur et la fantaisie, Boileau dirait par le clinquant. Autre temps, autre critique. Quant à sa Diane au retour de la chasse, elle est d’une si grande fraîcheur, que les voyageurs passant à Turin se détournaient en grand nombre pour la voir à Stupinigi, palais de plaisance du roi de Sardaigne. Son séjour à Turin fut heureux à divers titres ; il y trouva, dit un de ses biographes, la fortune et l’amour, la fortune sous les traits du roi de Sardaigne, l’amour sous les traits de la belle Christine Somis, la Philomèle de l’Italie. C’était mieux que Philomèle, c’était une belle fille qui chantait comme un ange ; en outre elle était pleine d’esprit et de grace. Carle Vanloo, l’ayant vue et entendue, demanda à faire son portrait. Lui qui faisait un portrait en pied dans l’espace d’un jour, il fut cinq semaines à celui de Christine, et encore n’en était-il pas content, car il ne pouvait reproduire l’enchantement que répandait la voix de la jeune fille. Un jour que son divin modèle posait pour la dernière fois, le dépit, l’amour peut-être, l’emporte et l’égare ; il détruit d’un coup de pinceau l’œuvre long-temps caressée, il se jette aux genoux de Christine, lui dit que ce n’est pas là le portrait qu’il veut avoir d’elle. J’ai recueilli de je ne sais quel poète ces mauvais vers qui expliquent la pensée de Carle Vanloo :

Que ne puis-je à ton air, ô charmante Christine !
Disait Vanloo, joignant ta voix divine,
Sur la toile animer ton gosier enchanteur !
Mais l’art résiste à mon envie ;
Avec ta voix, tes graces, ta douceur,
L’amour grava ton portrait dans mon cœur,
Et je veux que l’hymen m’en fasse une copie.

Carle Vanloo parlait sérieusement ; avant de recommencer un autre portrait, il épousa la belle Christine, qui fut sa joie la plus douce. Il partit avec elle pour Paris, où il débarqua avec éclat. Il fit sonner très haut les écus du roi de Sardaigne, prit un grand appartement, le meubla avec mille recherches et mille caprices, ouvrit son salon à tous les représentans des arts. Comme il avait beaucoup d’entrain, comme sa femme osait chanter la première en France la musique italienne, il y eut bientôt foule chez lui ; les derniers venus se tenaient dans l’escalier. Sa renommée dépassa alors son talent de mille cou-