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LES FEMMES POÈTES.

campagne contre Racine au profit de Pradon. Mme Deshoulières avait conservé au milieu du règne de Louis XIV, sous les brocards de Molière et de Boileau, les idées chevaleresques et pastorales dont étaient imprégnés les beaux esprits au temps de la fronde. Sous le charme des romans de d’Urfé, pleine des souvenirs de Clélie, nourrie de la Calprenède, elle cultiva une poésie dont presque tous les monumens sont oubliés. À la fin du XVIIe siècle, les Muses, étrillées en plein théâtre par l’auteur des Femmes savantes, se turent un instant. Au siècle de Voltaire, apprendre à faire des vers fit partie de l’éducation des femmes comme apprendre à danser. En traçant le portrait de Mme d’Houdetot, Jean-Jacques parle de son talent pour la poésie après avoir parlé de sa grace dans le menuet. En ce temps-là, le langage poétique n’était pas le langage des douleurs, mais bien celui de la raillerie mondaine et des amours faciles. C’est peut-être la seule époque où l’on puisse se représenter sans trop de répugnance les doigts de rose compromis avec la plume. Les vers d’alors sont des péchés qui étaient presque de la même nature et qui n’ont guère laissé plus de trace que les soupirs et les baisers ; ils méritent qu’on leur fasse grace. Pendant les jours de la révolution, la voix du canon et celle de la Marseillaise eurent seules le droit de se faire entendre ; mais, quand Bonaparte eut rendu à la France le calme intérieur, les poètes se remirent à chanter ; et comme les terribles années dont on sortait avaient creusé un profond abîme entre la société qui s’était écroulée et celle qui cherchait à s’établir, au lieu de continuer la tradition du dernier siècle, on se mit en quête d’une tradition fabuleuse. On se croyait moins loin d’Aspasie que de Mme de Pompadour. On dédaigna de chercher sous les cendres encore brûlantes de l’édifice qui venait de périr le carnet où Mme d’Houdetot écrivait des épîtres galantes à M. de Saint-Lambert ; on aima mieux remuer les débris des vieux âges poétiques pour tâcher d’y retrouver le cistre de Sapho. Mme Dufrénoy, la princesse de Salm et la nièce de Ducis, Mme Babois, cultivèrent à l’envi l’élégie antique. Les Saphos de l’empire ont eu le même genre de célébrité que les ménestrels de la restauration. Il est fâcheux que Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu les aient quelquefois rappelées.

C’est par des idylles que Mme Desbordes-Valmore a débuté. Il y a plus d’une façon d’entendre l’idylle. J’ai près de moi Fontenelle, Gessner et André Chénier. Tous les trois me découvrent des aspects bien différens, et tous les trois me charment tour à tour. L’un me peint la nature de Wateau, des arbres au feuillage de pourpre et de