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safran, des bergers vêtus d’azur, des bergères en souliers roses, des brebis chamarrées de rubans, des amours dans les nuages, en un mot le monde adorable et extravagant du Pèlerinage à Cythère ; l’autre me fait voir parfois, quand une inspiration heureuse guide son pinceau, quelques-uns des paysages naïfs et vrais de l’école flamande, un gazon de ce beau vert qui repose la vue, même le cœur, et de riantes treilles étalant leurs joyeux trésors sous l’auvent d’une maison de brique. Le troisième enfin offre à mes regards les scènes de la vie champêtre telles que la sculpture antique trouvait moyen de les fixer au flanc des amphores : les chœurs de nymphes, les danses des satyres, et les augustes travaux du laboureur. De ces trois poètes, le seul qu’on ait traité avec une véritable injustice, c’est Fontenelle. Ne devrait-on point pourtant avoir de l’indulgence pour ces doux vers :

Ô rives du Lignon, ô plaines de Forez !
Lieux consacrés aux amours les plus tendres,
Montbrison, Marcilli, noms toujours pleins d’attraits,
Que n’êtes-vous peuplés d’Hilas et de Silvandres !
Mais pour nous consoler de ne les trouver pas,
Ces Silvandres et ces Hilas,
Remplissons nos esprits de ces douces chimères,
Faisons-nous des bergers propres à nous charmer, etc. ?

Au moins l’auteur des Lettres galantes ne cherche pas à nous abuser et ne nous abuse pas lui-même sur la vérité de ses peintures. Il se sent porté vers l’Astrée par une inclination qu’il ne prétend point déguiser, et ce sont des bergers de l’Astrée qu’il veut faire revivre. Si étranges que soient les caprices de la fantaisie, il faut les respecter et même tâcher de les aimer, car la fantaisie est créatrice par excellence. L’artiste seul, il est vrai, peut apprécier les charmantes fêtes qu’elle donne au cœur et les joyeux délassemens qu’elle invente pour soulager les peines de l’esprit ; mais tout le monde doit reconnaître et respecter en elle le caractère quasi-divin qu’elle partage avec la folie, dont elle est un peu parente. Grace donc, j’emploie encore le langage de Fontenelle, grace pour

……… Cette puissante et douce rêverie
Qui fit errer Lysis dans les plaines de Brie
Avec quelques moutons à peine ramassés.

Certes, les plaines de Brie, telles qu’elles sont, malgré l’uniformité de leur aspect, ne déplaisent pas à mes yeux ; le ciel qui s’étend au-dessus d’elles n’a pas l’azur ardent et sombre du ciel de Rome, leur