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laborateurs, et dont les œuvres sont si nombreuses, qu’on n’en sait pas le chiffre exact et qu’il en existe à peine un exemplaire complet. Calderon de la Barca, sans compter ses comédies de cape et d’épée, où il n’a pas de rival, a fait des multitudes d’autos sacramentales, espèces de mystères catholiques où la profondeur bizarre de la pensée, la singularité de conception, s’unissent à une poésie enchanteresse et de l’élégance la plus fleurie. Il faudrait des catalogues in-folio pour désigner seulement par leurs titres les pièces de Lope de Rueda, de Montalban, de Guevara, de Quevedo, de Tirso, de Rojas, de Moreto, de Guilhen de Castro, de Diamante et de tant d’autres. Ce qui s’est écrit de pièces de théâtre en Espagne pendant le XVIe et le XVIIe siècle dépasse l’imagination ; autant vaudrait compter les feuilles des forêts et les grains de sable de la mer : elles sont presque toutes en vers de huit pieds mêlés d’assonances, imprimées en deux colonnes in-quarto, sur papier à chandelle, avec une grossière gravure au frontispice, et forment des cahiers de six a huit feuilles. Les boutiques de librairie en regorgent ; on en voit des milliers suspendues pêle-mêle au milieu des romances et des légendes versifiées des étalagistes en plein vent ; l’on pourrait sans exagération appliquer à la plupart des auteurs dramatiques espagnols l’épigramme faite sur un poète romain trop fécond, que l’on brûla après sa mort sur un bûcher formé de ses propres œuvres. C’est une fertilité d’invention, une abondance d’évènemens, une complication d’intrigues dont on ne peut se faire une idée. Les Espagnols, bien avant Shakespeare, ont inventé le drame ; leur théâtre est romantique dans toute l’acception du mot ; à part quelques puérilités d’érudition, leurs pièces ne relèvent ni des Grecs ni des Latins, et, comme le dit Lope de Vega dans son Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo :

Quando he de escribir una comedia,
Encierro los preceptos con sein llaves
.

Les auteurs dramatiques espagnols ne paraissent pas s’être beaucoup préoccupés de la peinture des caractères, bien que l’on trouve à chaque scène des traits d’observation très piquans et très fins ; l’homme n’y est pas étudié philosophiquement, et l’on ne rencontre guère dans leurs drames de ces figures épisodiques si fréquentes dans le grand tragique anglais, silhouettes découpées sur le vif, qui ne concourent qu’indirectement à l’action, et n’ont d’autre but que