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long des fleuves, dans les séraï[1], sur les voies publiques, mendiant une poignée de soudji[2], quelques grains de maïs, ou bien les restes du repas du voyageur que des chiens viennent leur disputer. Couverts de haillons et de vermine, souvent entièrement nus, les joues creuses, les yeux hagards, les pommettes saillantes, les dents allongées, les genoux plus volumineux que les cuisses, ces squelettes ambulans ont tout juste assez de vie pour soutenir leur structure presque tout osseuse. Leur cri de détresse est : Boukha marta sahéb, kangal mahatadje ka pét kali hai ; « oh ! monsieur, je meurs de faim ; le ventre du misérable, de l’infortuné, est vide. » Hélas ! leur physionomie ne montre que trop la vérité de leurs paroles. On voit le long du Gange, entre Coholgonde et Monghyr, des femmes, des vieillards, des enfans, sortir nus du creux des rochers, courant après les bateaux pour obtenir une poignée de riz, qui souvent leur est refusée. Dans une contrée qu’Aurengzèb appelait le paradis des régions, que de misère ! J’ai vu les pauvres fellahs de l’Égypte, je connais les durs traitemens qu’on leur fait éprouver, et je préférerais néanmoins leur condition à celle des mendians hindous connus sous le nom de rayots. Les Anglais, si humains et si généreux pour tout ce qui tient à la famille et à la patrie, oublient malheureusement trop, du moins dans l’Hindoustan, qu’il y a des êtres qui souffrent au sein des pays soumis à leur domination. Croient-ils donc qu’un musulman hindou, un bouddhiste, sont insensibles aux tiraillemens de la faim et aux vicissitudes atmosphériques ? La différence de croyance sépare-t-elle ces malheureux de l’humanité ? Les chiens et les chevaux des conquérans trouvent un abri et ont des alimens ; lorsqu’ils sont malades, ils ont droit à des médicamens et au repos. On ne pourrait en dire autant d’un quart de la population hindoue.

Je ne confonds pas les mendians dont je viens de parler avec les fakirs : ceux-ci peuvent se soumettre volontairement à de cruelles épreuves ; mais, quand la nature commande en maître, ils trouvent toujours moyen de satisfaire les besoins les plus pressans, leur caractère religieux les faisant bien accueillir ou craindre de leurs compatriotes. Il n’en est pas de même des infortunés rayots. À quelle caste appartiennent-ils généralement ? Souvent à la plus utile, à celle des soudras. Une épidémie, une inondation, une sécheresse, ou bien les poursuites trop vives du zemindar (fermier de la compagnie), les

  1. Caravansérails.
  2. Farine de maïs.