odieux et des plus tyranniques pour les malheureux Hindous. Tous les petits princes dont les états ont été morcelés et les trésors épuisés se sont vus forcés de renvoyer une foule de serviteurs qu’ils occupaient autrefois. Ces grands fleuves qui, au moyen de canaux, de dérivations, pourraient fertiliser d’immenses régions, vont perdre inutilement leurs eaux dans la mer ou les sables. Depuis plus d’un siècle que les Anglais possèdent ce beau pays, qu’ils ont peu fait pour le bonheur du peuple ! Est-ce en multipliant les boutiques d’opium et de marchands de vin jusque dans le moindre village, qu’ils ont pu améliorer l’état moral des individus ? L’Inde n’a guère servi qu’à alimenter les fabriques de l’Angleterre, à recevoir ses exportations en hommes comme en marchandises, à enrichir de ses trésors les employés de la compagnie. C’est même à la compagnie principalement que la conquête est profitable. Les avantages que peut en retirer la métropole paraîtront bien minimes, si l’on songe à l’étendue et à la qualité du sol, à ses produits et à sa population. En supposant que la race hindoue ou musulmane consommât par individu, en marchandises anglaises, un dixième seulement de ce que consomme un settler de la Nouvelle-Galles du Sud ou un Européen de l’Hindoustan, l’Inde seule produirait pour les douanes de la métropole un revenu de plus de 800 millions de francs. Manchester, Birmingham, Liverpool et toutes les cités manufacturières de la Grande-Bretagne n’auraient jamais trop de bras pour suffire à tant de besoins. Malheureusement pour l’Angleterre, il n’en est pas ainsi. Les draps et les armes ne trouvent d’écoulement que parmi les cent mille Anglais disséminés sur la presqu’île gangétique, et dans l’armée de deux cent vingt mille cypaies qui forme la principale force militaire de la compagnie. Pour les boissons alcooliques, le sucre, thé, café, conserves alimentaires, quincaillerie, coutellerie, objets de luxe, etc., ce sont les Anglais seuls qui en usent, et l’Amérique est encore là pour faire une concurrence fâcheuse à la métropole. Les articles de chaussure et de sellerie sont préparés et travaillés dans le pays. Les indigènes les plus aisés achètent seuls des étoffes de coton ; la classe moyenne préfère les doutti[1] et les doupatta[2] grossiers fabriqués dans la contrée. Les radjas, les naouabs, font venir pour eux et leur harem, de Delhi, de Bénarès, de Gouzerat, des étoffes d’or, d’argent et de soie, qu’on n’a pas encore essayé d’imiter en Europe.
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