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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/684

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REVUE DES DEUX MONDES.

les points de vue intéressans ne manquent pas. Par malheur, cette déplorable manie d’inscrire son nom partout, cette fièvre de prose et de vers qui possède tant de pauvres cervelles, n’a pas plus épargné le Luxbourg que tant d’autres montagnes de la Bohême, et là encore le dilettantisme sentimental d’un troupeau de Philistins vient corrompre votre jouissance et troubler votre fête. Quelle fureur de graver ainsi sur la pierre des platitudes que le sable garderait encore trop long-temps ! Et ces braves habitans de Wonsiedel, en voyant la reine de Prusse donner son nom à leur montagne, la tête leur en a tourné. À peine s’ils faisaient cas du Luxbourg, ils se sont pris d’enthousiasme pour le Louisenbourg. Si les reines donnent leur nom aux montagnes, que les montagnes soient dignes des reines, et les voilà tous arrangeant, égalisant, corrigeant la nature. On mit à neuf la montagne, les sentiers devinrent des allées ; les grottes, de petits salons meublés de petits bancs de mousse et de petites tables ; les pans de granit, des murs estampés de prose et de vers et d’illustrations de toute espèce. Triste chose que de rencontrer ainsi toujours l’homme, le personnage humain, au sein de l’immensité. Ce sentiment bourgeois et moutonnier, cet instinct de l’ornière que les Allemands appellent si plaisamment philisterei, vous le retrouvez partout dans le monde, partout, entre votre ame et l’idéal qu’elle cherche. Il vous dérobe Dieu dans le temple, le naturel dans la nature ; en quelque endroit que vous alliez, il vous aura précédé ; si haut que vous montiez vers le ciel, si bas que vous descendiez vers l’abîme, jamais vous ne lui échappez. Vous l’avez rencontré sur le sommet du Luxbourg, vous le trouverez au fond des catacombes où il dispose les ossemens humains en agréables petits châteaux de cartes. Quelque impression qui vous possède, soyez sûr que vous en avez la caricature auprès de vous, dans le temple ou sur la montagne ; que vous écoutiez la symphonie de Beethoven ou cette autre symphonie universelle que chante l’immensité, il y aura toujours là quelqu’un pour fredonner un air vulgaire et battre la mesure à contre-temps. — Il est néanmoins certaines inscriptions que vous rencontrez volontiers dans les grandes solitudes de la nature. Une pensée, un mot oublié par le génie, ont quelquefois des charmes inexprimables et qui viennent compléter à souhait l’harmonie des lieux et du moment. — Je n’oublierai jamais une rencontre de ce genre que je fis un soir près d’Ilmenau. J’avais gravi le Kickelhahn et me promenais sous ses beaux arbres en rêvant au grand siècle littéraire de Weimar, à cette société de grands hommes et de femmes élégantes et spirituelles,