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« C’est, du reste, ajoute Jean-Paul, un assez bon diable ; il étudie ses guerres de Bamberg, et, comme j’en jugeai d’après ses doigts[1], ne manque pas de certains aperçus et d’idées piquantes du genre de celle-ci que je veux citer : « La lime, disait un jour le malicieux conseiller, dont les auteurs négligent de se servir dans leurs ouvrages, les éditeurs l’emploient assidument pour rogner les pièces d’or qu’ils leur comptent en échange ! »

Jean-Paul aime ces conclusions. Nulle part l’idéal ne se marie au réel avec plus de charme et de bonheur ; vous le voyez passer de la fantaisie la plus merveilleuse à la description du plus modeste coin du feu, quitter les jardins étoilés de la lune pour venir visiter à la veillée quelque jeune femme bien ignorée, bien obscure, occupée aux plus simples travaux du ménage, et dont il vous raconte les espérances déçues, les perpétuels sacrifices et la sublime résignation. Et de même que dans les rêves de sa fantaisie le sentiment de cette humanité qu’il aime ne l’abandonne jamais, de même aussi des plus monotones accidens domestiques il sait faire jaillir la poésie. On dirait que son imagination, pareille à ces mystiques parfums que le Christ apportait dans la cabane du pauvre, relève toutes les choses prosaïques de l’existence. Puisque nous en sommes sur le chapitre de Pauline, écoutons-le nous raconter tout au long la destinée mélancolique de la pauvre jeune fille. Aussi bien nous parlions tout à l’heure de cette sympathie généreuse, de ce tendre intérêt qui l’entraînent incessamment vers-les misères silencieuses, vers les immolations sans récompenses que le monde ignore ; en voici un exemple. Cette figure de Pauline rentre dans la classe des héroïnes qu’il affectionne ; à ce titre, nous la laissons se produire ici telle qu’il la décrit à la fin de sa préface de Quintus Fixlein.

« Je dînai gaiement avec la jeune fiancée dont le futur n’était autre que notre connaissance à tous, le juge Weyermann. Je l’avoue, je recherchai la jeune fille plutôt que je ne l’évitai ; elle était innocente et belle, tendre sans les poétiques inégalités de la sensiblerie, et les mille souffrances si vives, si aiguës, endurées chez son père avaient plus donné à son cœur que pris à sa tête. Semblable au bois de rose, elle exhalait sur le tour douloureux de l’infortune la douce senteur des roses même.

« Nous partîmes tard, et je m’assis dans le vis-à-vis vis-à-vis d’elle ;

  1. « Selon Buffon, la division des phalanges indique une intelligence facile ; de là vient que le poisson dépourvu de membres est si stupide. »

    (Note de Jean-Paul.)