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JEAN-PAUL RICHTER.

derrière nos vertes montagnes s’étendait le désert des enfans d’Israël et devant nous la terre promise de la douce plaine de Baireuth. Le soleil et moi nous regardions Pauline en face avec une égale ardeur, et je finis par m’attendrir sur cette petite créature si calme. Et comment ne l’aurais-je pas fait en réfléchissant à cette inexorable loterie conjugale où mettent d’ordinaire toutes les jeunes filles dont le cœur vide encore nourrit un feu sacré, anonyme, sans objet, — de même que, dans le temple virginal de Vesta, il n’y avait aucune idole, mais seulement du feu, — et qui ensuite, au premier dieu de théâtre qui leur apparaît, renversent leur autel ? Pauvre créature ! je la comparais, ainsi que mainte fiancée, à cet enfant endormi que Garofalo a peint avec un ange qui tient une couronne d’épines au-dessus de lui. Mais ce qui me remuait au fond de l’ame, c’était de ne pouvoir contempler ce visage aimable, rose et blanc, tout en fleur, plein de sérénité, sans m’écrier à part moi : Ah ! ne sois pas si joyeuse, pauvre victime ! Tu ignores, toi, que ton noble cœur demande autre chose que du sang et ta tête d’autres rêves que ceux que donne l’oreiller ; que les feuilles embaumées de ta fleur de jeunesse vont maintenant se crisper inodores autour de leur calice, vase de miel pour l’homme, pour l’homme qui bientôt n’exigera de toi ni un cœur tendre, ni une tête intelligente, mais seulement des doigts grossiers pour travailler, des pieds pour courir, des gouttes de sueur, des bras meurtris, et surtout une langue soumise et paralysée. Désormais pour toi, cette voûte immense qui parle de l’Éternel, la rotonde bleue de l’univers, vont se recoquiller en l’étroit édifice du ménage, en un magasin à provisions, en une chambre à filer ta quenouille, et dans les beaux jours en un salon à visites. — Chère enfant, tu méritais un meilleur sort, mais tu n’y atteindras point, ton pauvre Weyermann lui-même n’y peut rien ; et c’est ainsi que la mort surprendra, pleine encore de germes desséchés, ton ame effeuillée par les années, et la première ira la transplanter sous un ciel plus favorable. — Et comment de pareils sacrifices ne m’affligeraient-ils pas ? Ne vois-je pas chaque semaine comment on immole certaines ames dès qu’elles ont revêtu un corps féminin ? Qu’une ame, la meilleure et la plus riche sous l’aurore empourprée de la vie, soit plongée, incomprise, le cœur plein de désirs méconnus, de facultés non satisfaites et dédaignées, dans le donjon crénelé du mariage, pourvu que le donjon ne soit pas une affreuse oubliette ou que le mari se montre un geôlier humain, capable de se laisser apprivoiser par sa captive, elle peut vraiment parler de son bonheur, et la malheureuse se trouve