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regard d’un œil d’aigle nous laisse aussi froids que le regard d’un œil de colombe, au moins souvenons-nous avec tendresse du temps où nous ne pouvions pas voir, sans sentir nos yeux humides et nos joues brillantes, un doux visage et un front inspiré.

J’aime les deux vers de Mme Tastu, parce que je crois qu’ils renferment les sentimens que je viens d’exprimer. Mais tirer deux vers seulement de toutes les odes et élégies qu’elle a composées, peut-être trouvera-t-on que c’est injuste. Quoique ce soient les seuls qui m’aient vraiment ému, j’avoue qu’elle en a fait d’autres qui doivent être doux à l’oreille pour tout le monde, et qui, pour quelques-uns peut-être, sont doux au cœur. En tout cas, ce qui plaide pour elle c’est la gracieuse humilité avec laquelle elle parle toujours de son talent. Dans une pièce de vers appelée l’Ange Gardien, une des meilleures de son premier recueil, elle définit avec un tact exquis le rôle que la poésie peut jouer dans l’intérieur d’une femme :

As-tu réglé dans ton modeste empire
Tous les travaux, les repas, les loisirs,
Tu peux alors accorder à ta lyre
Quelques instans ravis à tes plaisirs.

Oui, sans doute, je ne vois aucun mal à ce qu’une femme fasse des vers, quand tout le petit monde dont elle est l’ame, heureux et paisible autour d’elle, ne réclame plus rien de sa sollicitude : pour ma pat, j’aimerais mieux qu’elle s’amusât à faire parler la voix vibrante du piano ou de la harpe qu’à prendre cette lyre métaphorique qui n’indique, en définitive, que des plumes qu’on fait grincer et du papier qu’on noircit ; mais enfin, si c’est là le passe-temps qui la séduit, elle peut s’y livrer sans crime ; seulement il faudrait que ces lignes qu’elle écrit à ses instans perdus, comme elle tirerait des accords d’un instrument, ces lignes qui ne servent qu’à soulager son ame et à faire couler doucement ses heures, il faudrait, dis-je, qu’elle les rendît fugitives et éphémères comme les accens d’une véritable lyre, en laissant s’envoler, au lieu de les recueillir, les pages où elle les a tracées.

Nous l’avons dit, Mme Desbordes-Valmore et Mme Tastu se touchent par certains côtés : l’une a un talent plus passionné, l’autre un talent plus chaste ; mais comme poètes, sinon comme femmes, toutes deux ont une égale modestie. Mme Delphine de Girardin nous fournit un type nouveau. C’est la véritable Muse, avec l’étoile au front et un rameau de laurier à la main. Elle jette des vers si haut du Pan-