Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/720

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
716
REVUE DES DEUX MONDES.

ment enfin. Quant à saint Macaire lui-même, il est long-temps resté célèbre, et c’est précisément ce voyage à travers les mystérieuses contrées de la mort qui le rendit populaire. Dans les danses macabres, il est habillé en docteur, et, après avoir reçu les trois morts et les trois vifs, il vient prononcer la moralité ; on le retrouve jusqu’au Campo-Santo, dans les peintures d’Orcagna. Je suis de plus porté à croire, malgré les commentateurs, que c’est ce même Macaire-Romain, Maccario, que saint Benoît montre à Dante parmi « les contemplatifs, » au XXIIe chant du Paradis.

On ne contestera pas, je suppose, le caractère bien plus céleste qu’infernal des visions sur l’autre monde, durant les premiers âges du christianisme. Le doute serait encore possible, qu’il suffirait de rappeler ce qui arriva à saint Sauve, alors qu’il n’était encore qu’un humble abbé, voué aux plus austères pénitences. Ici rien d’apocryphe ; Grégoire de Tours, au VIIe livre de son Histoire des Francs, atteste devant Dieu qu’il a recueilli les faits de la propre bouche du saint : la bonne foi est patente. Sauve mourut après une fièvre violente, et, pendant la cérémonie des obsèques, il ressuscita. Au bout de trois jours, cédant enfin à l’importunité de ses frères, il leur raconta comment il avait été emporté au-delà des sphères jusqu’à des plaines pavées d’or où s’agitait une multitude immense, comment enfin il était parvenu en un lieu où l’on était nourri de parfums et où planait une nuée plus lumineuse que toute lumière, et de laquelle sortait une voix pareille à la voix des grandes eaux. — Mais tout à coup ces mots retentirent avec éclat : « Qu’il retourne sur la terre, car il est utile à nos églises ! » Sauve, s’étant jeté à genoux : « Hélas ! hélas ! Seigneur, pourquoi m’avez-vous révélé ces splendeurs, si je devais bientôt les perdre ? » Il lui fut aussitôt répondu : « Va en paix, je serai avec toi jusqu’à ton retour. » Et Sauve, pleurant, sortit par la porte éblouissante qu’il avait naguère franchie. — À ce récit, les moines demeurèrent frappés, et l’abbé s’écria en gémissant : « Malheur à moi qui ai osé trahir un pareil secret ! le parfum qui me nourrissait s’est retiré de moi ; ma langue est comme déchirée et semble remplir toute ma bouche. » Bien des années après, le saint abbé quitta le cloître pour devenir évêque d’Alby.

On le voit, Sauve n’accepte pas son retour sur terre avec la même résignation que sainte Christine ; il y a déjà décadence. Cependant il est bon de remarquer qu’il n’est ici question encore que des félicités célestes, et que la terreur s’efface devant l’espérance. Ces ravissemens, où domine l’idée de salut et de béatitude, se prolongeront jusqu’au viie siècle. Quand saint Fursi[1] sera enlevé à son corps afin de visiter les divins parvis, il assistera sans doute à bien des luttes : les anges seront même obligés de parer avec leurs boucliers les flèches de feu que lui lanceront les démons ; mais il ne sera pas dit un mot de l’enfer. — Avec les siècles toutefois, la préoccupation de la vie à venir devient de plus en plus sérieuse et générale. Les vivans ne cessent de prier pour les morts ; la foi au purgatoire était même si vive, que,

  1. Bède, Hist. eccl. Angl., liv. III, ch. 19.