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LES FEMMES POÈTES.

Girardin, indécise entre ces deux camps, pencha tantôt vers l’un, tantôt vers l’autre. Il y avait alors un rôle charmant, c’était de rendre à la langue française l’allure vive et légère qu’elle avait perdue, de rallier les graces que la révolution avait mises en fuite et que l’empire n’avait certainement pas rappelées ; Mme de Girardin aurait pu le remplir, si elle avait su le deviner à temps. Mais elle se prit de passion pour je ne sais quelle pompe de mauvais goût, reste des solennités de la république ; elle rêva luth, laurier et char triomphal. Les idées ambitieuses et exagérées qui inspirèrent Corinne à l’éloquente fille de Necker exercèrent sur elle le plus funeste empire ; au lieu de les mettre dans un roman, elle entreprit, pour son malheur, de les transporter dans son existence. Elle ne créa pas une nouvelle Corinne, elle voulut être Corinne elle-même. Mme de Girardin s’est ressentie dans toute sa vie littéraire de cette fatale prétention. Elle ne veut oublier ni le Panthéon, ni le Capitole. Née avec le bonheur, car c’en est un pour une femme, d’entendre fort mal les affaires d’état et fort bien les affaires de cœur, elle néglige le marivaudage pour la politique, ou du moins, ce qui est encore plus fâcheux, elle mêle la politique au marivaudage. Je me souviens d’une pièce de vers, appelée les Ouvriers de Lyon, où elle aborde cette terrible satire sociale qui a fini par lasser les rudes génies de Barthélemy et de Barbier. Elle est faite pour mouler dans du plâtre ou de l’argile de jolies statuettes, et ce sont les grands blocs de marbre qui attirent son ciseau. Fine et spirituelle comme une marquise de la régence, elle caresse dans l’ombre des tragédies en cinq actes avec l’amour candide et plein d’illusion d’un lycéen ; en un mot, elle écrase une parure élégante et gracieuse sous un diadème et un manteau de théâtre dont elle ne peut pas se débarrasser.

Nous avons eu dans Mme Desbordes-Valmore la muse passionnée dont l’ame éclate en chants interrompus par des sanglots toutes les fois qu’un souvenir mêlé de volupté et de douleur l’effleure de ses ailes brûlantes ; nous avons eu dans Mme Tastu la muse domestique qui prend la lyre après avoir déposé le fuseau ; enfin, nous avons eu dans Mme de Girardin la muse nationale qui consentirait volontiers à se promener sur un char de triomphe, comme le faisait jadis la déesse de la Raison dans les solennités publiques. Eh bien ! nous n’en avons pas encore fini avec toutes les variétés de muses. Ouvrez un volume de Mme Louise Colet appelé Fleurs du Midi, les titres suivans frapperont successivement vos yeux : Génie, Néant, Enthousiasme, Tourmens, Hécatombe, Désenchantement, Mort. Il y a un siècle ou