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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/750

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lui il n’était désormais plus d’obstacles. Il semblait en effet que leurs épreuves étaient finies, et qu’affranchis des impressions funèbres que la mort laisse après elle, ils allaient réaliser tous deux le rêve caressé dans l’absence. Il en arriva autrement. Mme de Beaumeillant sentait déjà les atteintes du mal qui lui creusait sa tombe. Elle était sombre, inquiète, préoccupée ; la présence de son fils, cette joie si long-temps souhaitée, paraissait la toucher à peine. Elle s’efforçait de lui sourire, et se cachait pour pleurer. Ce n’était pas le souvenir du comte de Beaumeillant qui la troublait ainsi. Quelques semaines à peine avaient passé sur son retour, qu’elle partit une fois encore, et vainement Richard supplia pour l’accompagner : elle s’éloigna seule, promettant comme autrefois de bientôt revenir, et, comme autrefois, des jours et des mois s’écoulèrent sans la ramener à son fils. Elle écrivit ; mais ses lettres se ressentaient du mauvais état de son ame. Elle imagina des prétextes pour expliquer cette absence nouvelle ; mais Richard se plaignait dans son cœur. Enfin elle revint, cette fois pour ne plus repartir, et son fils la reçut avec adoration, car il est à remarquer que leurs fils les aiment d’un amour spécial, ces pauvres égarées, comme s’ils comprenaient qu’ils doivent être le dernier refuge de leurs mères, et qu’ils resteront seuls à les consoler.

— Mon fils, mon enfant, mon dernier espoir ! disait-elle.

— Ô ma mère ! répondait le jeune homme en couvrant de pieux baisers les mains de l’infortunée, restez près de moi, ne me quittez plus. Si vous avez des peines que je ne puisse entendre, pleurez, nous pleurerons ensemble. Mon amour vous guérira peut-être ; restez, ne nous séparons plus.

La mort seule les sépara ; mais la cruelle ne se fit pas attendre. En moins de deux ans, elle eut accompli son œuvre. Durant ces deux années, qui ne furent pour Mme de Beaumeillant qu’une longue agonie, Richard essaya vainement de réveiller en elle l’espérance et la vie ; vainement il l’entoura de tout ce que la sollicitude la plus ardente peut suggérer de plus tendre et de plus assidu ; elle succombait à un mal dont rien ne pouvait la distraire. Elle-même tenta de retremper son cœur dans l’amour maternel ; mais trop d’orages l’avaient dévasté pour qu’un sentiment heureux et calme pût jamais y fleurir. Sans doute, quand la passion n’a plus que des plages arides, il serait doux alors de revenir impunément aux sources des affections permises ; mais cela serait trop facile, et Dieu n’a pas voulu qu’il en fût ainsi. Quand Mme de Beaumeillant trouva sous sa main ce bonheur trop long-temps négligé, elle se sentit inhabile à le goûter et à en jouir.