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RICHARD.

Ni le silence des champs, ni la tendresse exaltée de son fils, ni la paix du toit domestique, ne purent amortir la tristesse qui la consumait. Elle s’éteignait lentement dans un mortel ennui, punition tardive, mais inévitable, de toutes ces imaginations qui ont traduit en aventures la grave histoire de la vie. Celle-ci était atteinte d’un trait plus dur et plus acéré ; elle saignait d’une blessure large et profonde. Peut-être eût-elle allégé son désespoir en le racontant. Mais c’était de ces douleurs que les mères ne sauraient confier à leurs enfans, que les enfans devinent sans oser les comprendre. Le jeune de Beaumeillant assista silencieusement au dénouement de cette destinée. Jamais une question n’effleura ses lèvres, jamais un reproche ne put se lire sur son visage ; c’est à peine s’il osa s’interroger lui-même sur cette grande affliction qu’il ne pouvait guérir ni consoler. Il ne savait rien de la vie ; jamais un écho, même affaibli, des bruits du monde, n’était arrivé jusqu’à lui. Aussi ce drame qu’il avait vu commencer dans les pleurs, et qu’il voyait s’achever dans les larmes, était-il pour lui plein d’un sombre mystère. Toutefois, ses instincts s’éveillant y jetaient de sinistres lueurs, et déjà, sous son amour filial, Richard sentait remuer dans son sein une haine sourde et profonde, qui ne savait à qui s’attaquer. Soumis et résigné en apparence, cet amour avait en soi tous les caractères de la passion, inquiet, tourmenté, douloureux et jaloux. Tout le trouble du cœur maternel avait passé dans ce jeune cœur.

Durant les premiers mois qui suivirent son retour, Mme de Beaumeillant avait semblé tenir à la vie par quelque espérance. Chaque matin, l’arrivée du courrier qui rapportait les lettres de la ville colorait un instant la pâleur de son front. Le pas éloigné d’un cheval, une voiture filant sur le ruban poudreux qui blanchissait à l’horizon, un bruit inaccoutumé, l’aboiement des chiens dans le parc, tout l’agitait d’un tressaillement soudain. Elle espérait, elle attendait encore. Cependant les jours suivirent les jours, les mois succédèrent aux mois, sans apporter aucun changement. Lasse d’espérer et d’attendre, elle s’abandonna à sa douleur sans résister au courant. Le flot l’entraîna vite ; elle mourut entre les bras de Richard. Près d’expirer, elle le pressa ardemment sur son sein, et de ses lèvres, qu’allait fermer la mort, un nom s’échappa dans le dernier soupir ; ce ne fut pas le nom de son fils.

Quoique prévu depuis long-temps, ce coup frappa le jeune homme d’une morne stupeur. Son désespoir fut grave, silencieux, et plus réfléchi qu’on ne le rencontre à cet âge ; il s’y mêla un sentiment