Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/754

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
750
REVUE DES DEUX MONDES.

château, Richard voulut revoir la chambre où cette infortunée s’était endormie du dernier sommeil. Il entra religieusement et promena autour de lui un lent et douloureux regard. En apercevant la cassette qui brillait dans un coin, à la lueur de la lampe, il tressaillit et prit Dieu à témoin que ce n’était pas elle qu’il cherchait. Pour se convaincre lui-même de la pureté de ses intentions, pour en finir avec ce trouble de son ame, il alluma un grand leu, et jura de ne point s’éloigner avant d’avoir accompli la dernière volonté de sa mère. Pendant que le bois s’embrasait, il se jeta dans un fauteuil, et se prit à repasser tous les détails de sa destinée avec une ardeur maladive qu’exaltait encore ce lamentable anniversaire. La tempête avait redoublé, la pluie fouettait les vitres, le tonnerre déchirait la nue. Richard sentait son cœur ni moins orageux ni moins sombre. Il prit le coffret, le déposa sur le marbre de la cheminée et demeura longtemps à le contempler en silence. Il se tenait debout, pâle, tremblant, défait, et nul n’aurait pu dire ce qui se passait en lui, tant était indéfinissable l’expression de ses yeux et de son visage. Enfin, par un mouvement de bête fauve qui s’élance sur sa proie, il saisit la cassette à deux mains ; mais, au lieu de la jeter aux flammes, il la brisa contre la plaque du foyer. Des papiers s’en échappèrent, et, dispersés par la violence du choc, volèrent çà et là sur le parquet. Richard resta d’abord frappé de terreur ; il crut entendre la voix de sa mère qui s’élevait pour l’accuser et le maudire. Mais l’enfer était tout entier dans son sein : il consomma la profanation.

Ces lettres, toutes sans suscription, avaient été écrites par Mme de Beaumeillant durant les deux années qui suivirent son dernier retour : c’étaient les épanchemens de sa douleur, le récit, jour par jour, de sa lente agonie. Richard s’étendit sur le parquet, et sa main prit au hasard au milieu des lettres éparses. La première qu’il ouvrit les résumait toutes : c’était aussi la première sans doute qu’avait écrite Mme de Beaumeillant après son retour, le premier cri de son désespoir, le premier sang de sa blessure. Richard, en dépliant les feuillets, sentit son cœur défaillir et son front se mouiller d’une sueur froide : on eût dit un amant qui va se convaincre de l’infidélité de sa maîtresse. Toutefois, en reconnaissant l’écriture de sa mère, çà et là effacée par les larmes, il fut saisi d’un sentiment de respect religieux, et, tous les pudiques instincts de la jeunesse se réveillant en lui, il allait une fois encore résister au démon qui le poussait et sortir vainqueur de cette nouvelle épreuve, quand soudain un nom, ce nom maudit que la mourante avait exhalé dans son dernier soupir, lui