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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/767

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RICHARD.

son jeune ami, il respecta le secret de sa destinée et n’essaya point d’en soulever le voile ; mais il versa sur ce cœur souffrant le baume salutaire d’une saine philosophie. Ils avaient, le soir, sous les frais ombrages, de longs entretiens qui exerçaient sur l’esprit de Richard de bienfaisantes influences et le ramenaient insensiblement à une appréciation plus sage et plus vraie des choses d’ici-bas. M. de La Tremblaye était une de ces natures d’élite que l’expérience féconde et que la douleur enrichit. Chez lui, la faculté de sentir et d’aimer avait survécu aux illusions de la jeunesse. Il n’avait point ce scepticisme railleur que donne aux organisations d’une trempe moins généreuse la science amère de l’humanité. Il releva l’ame abattue de Richard, il la doubla, pour ainsi dire, de la sienne, et lui ouvrit des horizons que M. de Beaumeillant n’avait pas jusqu’alors entrevus. Il l’entretenait gravement, lui conseillait d’occuper sa vie, de développer son intelligence et d’en diriger l’activité vers un but élevé et honnête. — Montrez-vous digne, lui disait-il parfois, du nom que vous a laissé votre père. Continuez vos aïeux : noblesse oblige. Je sais trop bien que notre épopée est close, et qu’il semble que la vieille aristocratie n’ait plus qu’à se croiser les bras et à regarder du haut de ses châteaux déserts passer le flot bourbeux d’une époque de prose et d’argent. Mais, quoi qu’on dise et qu’on fasse, nos noms pèseront toujours dans les destinées de la France. Tout homme a d’ailleurs sa mesure à donner. À l’œuvre donc ! Ne laissez pas se consumer dans l’oisiveté les facultés que Dieu a mises en vous ; ne vivez plus, ainsi que vous l’avez fait jusqu’à présent, dans la contemplation d’une douleur que j’ignore, que je respecte, mais qui ne doit pas, quelle qu’elle soit, vous détourner de vos devoirs.

Cependant la santé de Richard était loin d’être entièrement rétablie. Aux approches de l’hiver, les médecins lui ayant conseillé l’air du midi, il se disposa à partir pour Rome. M. de La Tremblaye, qu’il alla voir la veille de son départ, l’approuva fort dans ses projets de voyage. Il regretta seulement de ne pouvoir l’accompagner. Des liens sacrés le retenaient ; sa mère, en mourant, lui avait laissé le soin d’une jeune sœur qui n’avait d’autre appui ni d’autre protection que son frère ; son éducation, qu’il surveillait, à Paris, depuis quelques années, était sur le point de s’achever, et tous deux devaient partir incessamment pour leur terre en Dauphiné. — Je compte, monsieur, ajouta M. de La Tremblaye, qu’à votre retour en France vous viendrez nous y voir. — Richard en prit l’engagement ; ils se séparèrent après s’être serré la main cordialement.