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LES FEMMES POÈTES.

veulent écrire, un langage : le langage se forme avec lenteur par de rudes et âpres travaux, que les femmes dédaignent ou qui les rebutent. Toutes les poésies que nous avons parcourues aujourd’hui, depuis celles de Mme Desbordes-Valmore jusqu’à celles de Mme Ségalas, ont la même absence d’originalité dans l’expression. Les Algériennes et les Oiseaux de passage sont deux volumes écrits avec cette facilité sans correction qui est si dangereuse. Les vers que renferment ces recueils appartiennent à la monnaie poétique de notre époque. On a cherché à graver l’effigie de Casimir Delavigne sur quelques pièces, celle de Victor Hugo sur quelques autres ; l’effigie de l’auteur n’est sur aucune.

Maintenant, de toutes ces œuvres que nous avons parcourues, des élégies passionnées de Mme Desbordes-Valmore, des chastes élégies de Mme Tastu, des chants patriotiques de Mme de Girardin, des odes byroniennes de Mme Colet, quelle conclusion devons-nous tirer ? Une conclusion qui, pour être piquante, aurait besoin d’être écrite dans la langue un peu brutale de Montaigne et de Molière, à savoir que les femmes sont nées pour mettre au monde autre chose que des volumes de vers. Tous les hommes qui ont reçu du ciel une verve originale et un esprit vigoureux, Juvénal chez les anciens, chez les modernes l’auteur des Précieuses ridicules, celui d’Émile, et jusqu’à ce Byron qu’invoquent les muses d’aujourd’hui, tous ces francs écrivains, au hardi parler et aux énergiques boutades, ont été d’accord pour condamner les tentatives des poètes femelles. Certainement, parmi les femmes qui écrivent, celles dont nous venons de citer les noms en sont la preuve, il est des femmes d’esprit, mais de combien je leur préférerai toujours la femme d’esprit qui n’écrit pas ! Ah ! si j’osais tracer son portrait à celle-là, je suis sûr que tout le monde l’aimerait ; l’un reconnaîtrait en elle sa mère, l’autre sa sœur, l’autre sa maîtresse, car, dans l’intimité de la famille ou dans une autre intimité, tout le monde a connu la femme d’esprit qui n’écrit pas. Elle n’écrit pas ! mais quel juge plus délicat peut-on trouver pour les œuvres d’imagination ? Arbitre impartial dont aucun sentiment involontaire de jalousie ne trouble la raison, c’est elle qui donne au poète le plus doux comme le plus précieux des suffrages. Elle n’écrit pas ! non elle ne prend pas la plume comme une épée pour attaquer ou défendre des choses qui croulent, elle ne la prend pas non plus comme un instrument pour jeter des accens aux oreilles de la foule ni même aux oreilles des connaisseurs ; elle n’a point d’œuvre par le monde dont on soit obligé de lui parler quand on l’aborde ; mais il