Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
76
REVUE DES DEUX MONDES.

est quelques secrétaires qui renferment un billet où elle a mis un parfum que le grand air ne fait pas évaporer. C’est elle qui a un langage original et charmant, formé de mots qu’un sourire corrige, qu’une inflexion de voix grave dans le cœur. La plupart de ceux qui composent des livres parlent lourdement de peu de choses pour un grand nombre, elle parle de tout pour quelques-uns et parle de tout avec grace. J’espère qu’on me rendra justice ; si je conseille aux femmes de laisser la poésie de côté, ce n’est point parce que je méconnais ce qu’il y a en elles de noble et d’élevé. Eh ! mon Dieu, je ne leur demande même pas de renoncer à la poésie, si l’on donne à ce mot son véritable sens : leur poésie, à elles, est dans les vers qu’elles inspirent et non pas dans ceux qu’elles font. Leur poésie, avant tout, c’est d’être belles et de se faire aimer. À Dieu ne plaise pourtant que je leur interdise l’art dans certaines limites ! Je serais fâché qu’une femme ne sût pas faire naître de douces extases au cœur de son mari et de joyeuses rêveries au cœur de ses enfans, en jouant le soir dans un coin de son salon quelque mélodie allemande. Tout ce que j’exige d’elles, c’est qu’elles ne tirent jamais d’un instrument et encore moins de leur ame des accords qui s’envolent au-delà du foyer.

Au moment d’achever cette étude que j’ai faite avec conscience, je me demande, comme je le ferai toujours, à qui peuvent être utiles les pages qu’on vient de lire. Je n’oserais jamais croire, peut-être même n’aurais-je pas le courage de désirer que ce fût à celles dont j’ai parlé ; mais si elles l’étaient par hasard à quelques jeunes filles prêtes à traduire, dans un langage positif et banal, les voix confuses et mystérieuses de leur cœur, si je pouvais retenir quelques mauvais vers sur de jolies bouches, je m’en applaudirais avec joie et croirais avoir rempli mon devoir dans toute son étendue ; quant à y retenir les doux aveux, Dieu merci, c’est d’autres moralistes que cela regarde.


G. de Molènes.