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dans un pays doué d’une certaine activité ? Si l’on s’avisait de donner à cet usage tout ce qu’il réclame, le capital y passerait tout entier, et l’on détruirait, avec la production, le principe même des échanges. Aussi l’on s’en garde bien ; on se borne, au contraire, à satisfaire en cela les plus pressans besoins d’où il arrive nécessairement que dans un pays où l’on ne traite qu’argent comptant, il ne se consomme jamais qu’une partie, même assez faible, des transactions et des échanges possibles ; le reste est abandonné, faute de moyens pour l’accomplir.

Voilà ce qui explique cette situation étrange qu’on vient de voir. De là viennent ces difficultés égales de l’achat et de la vente ; de là enfin cette langueur générale des transactions, quand tout le monde a tant d’intérêt à les activer.

Ce que le numéraire ne fait qu’à grands frais, et toujours à demi, le crédit l’accomplit sans effort comme sans réserve. Il rend possible ce large et général échange, dont nous parlions plus haut. C’est lorsque le crédit règne dans un pays qu’il est vrai de dire, sans restriction, que les produits s’échangent contre les produits. Alors, point de sacrifice de capital à faire. Il suffit à chacun d’avoir des produits à offrir sur le marché pour avoir la faculté d’obtenir ceux qui lui manquent, et n’eût-il pas à l’instant même l’occasion de vendre les siens, il trouverait encore à se procurer ceux des autres en attendant. Qu’a-t-il à faire pour cela ? Rien que souscrire un billet qu’il acquittera plus tard, quand la vente de ses propres produits l’aura remis en possession de leur valeur. L’achat et la vente deviennent donc également faciles. Les échanges se multiplient, la production se donne carrière, et les produits circulant toujours avec rapidité, leur puissance reproductive s’accroît par cette circulation même.

Si l’on veut se représenter, par un exemple frappant, toute la différence qu’il y a entre un état de choses où le crédit règne, et un autre d’où ce crédit est absent, on n’a qu’à se transporter par la pensée à un de ces momens, comme tout le monde en a pu voir, où tout à coup la confiance se retire, où le commerce s’embarrasse, et qu’on appelle des crises commerciales. Ces crises sont souvent produites, chacun le sait, par des évènemens subits, inattendus, n’ayant d’ailleurs aucun rapport direct avec le commerce. Qu’arrive-t-il cependant ? Du jour au lendemain, les transactions sont suspendues, la circulation des produits est arrêtée ; plus de vente ; les magasins s’encombrent, et bientôt la production elle-même se ralentit. D’où vient alors une décomposition si étrange et si prompte ? Pourquoi, par exemple, cet extraordinaire et si rapide décroissement de la vente, quand il semble qu’en si peu de temps les besoins n’aient pas changé ? M. J.-B. Say dirait peut-être à cela, suivant le principe qu’on vient de voir : Si la vente est arrêtée d’un côté, c’est que la production a manqué de l’autre. Mais la veille encore la production était dans toute sa force, elle n’avait manqué nulle part, et aujourd’hui la vente est arrêtée partout. Il est évident que tout ce désordre n’a pas alors d’autre cause que l’affaiblissement de la confiance et la disparition du crédit. Par le