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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/83

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HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ.

manquent ou se perdent ; il ne se trouve plus que des jalons, et de place en place, après l’orage, des massifs de pièces interrompues et pendantes. Qu’on veuille réfléchir à l’immensité du champ historique ; à part deux ou trois époques d’exception, presque tout est ainsi. Comment suppléer et achever ? Le moment vient assez vite où l’on n’a plus à espérer de découvertes, et où l’on n’a plus décidément affaire qu’à un certain nombre de textes, de fragmens déterminés. C’est avec cela qu’il faut refaire la ligne, ou la déclarer incomplète. Ici commence le triomphe et l’interminable dispute des érudits.

J’aime avant tout la méthode d’un esprit ferme, positif, inexorable, qui me dénombre et me déduit les faits, les points précis, et me dit : Rien au-delà. Je sais à quoi m’en tenir, et, si ma conjecture va son train, je sais qu’elle est conjecture.

J’aime aussi (sauf retour) la méthode d’un esprit ingénieux, hardi, habile, plein de mouvement, qui ose deviner, reconstruire, et qui m’associe à ses courageuses et doctes aventures.

M. le comte de Saint-Priest vient de rentrer avec nouveauté dans une carrière qui, depuis quelques années, avait été parcourue et illustrée en divers sens. Le fort de son livre, qui embrasse une très vaste étendue historique, porte principalement sur l’origine de la royauté moderne et tend à débrouiller encore une fois les époques mérovingienne et carlovingienne. Arrivé le dernier, il a trouvé moyen d’y jeter toutes sortes de vues nouvelles, inattendues. Ces époques, en elles-mêmes si ingrates et si obscures, sont devenues désormais comme un champ-clos brillant où non-seulement les érudits, mais des écrivains éloquens, arborent leurs couleurs et brisent des lances. Il est vrai que, si l’on n’y prend pas garde, la multiplicité des lumières va y refaire jusqu’à un certain point l’effet de l’obscurité primitive. À force d’explications et d’éclairs contradictoires qu’on fera jaillir des mêmes textes, il semblera évident que nulle explication n’est la décisive.

Un premier tournoi eut lieu sur ce même terrain et occupa tout le XVIIIe siècle. Il s’ouvre par les écrits du comte de Boulainvilliers et va jusqu’à ceux de l’historiographe Moreau. M. Augustin Thierry en a tracé un savant et lucide exposé dans les belles Considérations qui précèdent ses Récits mérovingiens. Chaque élément est tour à tour en jeu et court sur le tapis selon le préjugé dominant de l’auteur qui le fait valoir, l’élément aristocratique et frank avec Boulainvilliers, l’élément municipal et gallo-romain avec Dubos, le démocratique avec Mably, le monarchique avec Moreau. Quand le tour