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hommes d’état les plus considérés de son temps, que l’opinion dominante ici est que ce que nous avons de mieux à faire à l’égard du Canada, c’est d’en faire une colonie française, d’en éloigner les Anglais autant que possible, et de les empêcher de se mêler aux Canadiens. Ce pays, dit-on, a la religion qui lui convient, les lois qui lui conviennent ; qu’il soit gouverné comme il l’était avant qu’il nous appartînt. Ce système est-il aujourd’hui praticable ? Je n’ai pas la prétention de le décider ; mais, dans mon humble opinion, s’il est praticable, il n’est pas d’une bonne politique. Si les Canadiens n’ont pas d’avantages (je crois pour moi qu’il y en a) à passer du régime des lois françaises sous celui des lois anglaises, avec leurs inclinations françaises, avec leurs lois françaises, avec leur religion française, en un mot, n’ayant rien chez eux qui ne soit français, excepté le sujet de l’Angleterre placé à leur tête ; — les Canadiens, je le demande, ne finiront-ils pas un jour par repousser la seule partie de leur gouvernement qui ne soit pas française ? » L’avenir a failli justifier ces craintes, mais le succès immédiat des bills présentés par lord North en prouva et l’opportunité et la prudence. Les Canadiens, satisfaits de la réparation qu’ils avaient obtenue, refusèrent obstinément de prendre aucune part à l’insurrection américaine, et demeurèrent les fidèles sujets de la Grande-Bretagne.

Le bill de 1774 avait donné la plus grande extension possible au système qui avait pour but de favoriser la nationalité française. Le système de ce bill fut poussé si loin, qu’aucune concession de terres ne fut faite à des colons anglais jusqu’en 1796. Mais à cette époque, les besoins de la politique britannique avaient changé ; la république américaine avait été officiellement reconnue ; aucun intérêt pressant ne commandait plus de favoriser la nationalité française. Au contraire, il fallait songer à ouvrir un nouveau débouché à cet excès de population qui, depuis tant d’années, s’écoulait dans les colonies devenues indépendantes. Le territoire canadien, encore inexploité sur la plus grande partie de sa surface, offrait aux instincts colonisateurs de la Grande-Bretagne un champ illimité qu’il fallait leur préparer. Il importait d’ailleurs de placer dans le Canada un point de ralliement pour les loyalistes anglo-américains et les soldats des armées débandées, que la cessation de la guerre laissait sans moyens assurés d’existence.

Ces intérêts portèrent M. Pitt, en 1791, à présenter au parlement un nouveau bill pour le gouvernement du Canada. Ce bill respectait la nationalité française, mais il partageait la colonie en deux pro-