en foule ; les personnages les plus considérables s’inscrivaient à sa porte. Mille efforts étaient faits de toutes parts pour arracher Albert à sa retraite et l’attirer dans le monde, dont il était désormais une des gloires. Peu touché de ces prévenances, le jeune artiste se faisait malade, et demeurait enfermé chez lui, plus inaccessible que jamais. L’éclair de bonheur qui un moment avait illuminé sa conscience s’était dissipé pour faire place aux vapeurs de plus en plus denses d’une tristesse infinie. Son front était redevenu morne et penché ; il semblait que le joyeux éclat de l’orgueil n’y pût plus rayonner à l’avenir. Un de ces riches Mécènes qui deviennent de jour en jour plus rares avait fait offrir à l’artiste un prix considérable de sa statue ; mais Albert avait refusé nettement sans dire aucune raison, et l’œuvre était rentrée dans l’atelier. Une draperie flottante la voilait, comme pour la défendre de toute vue et de tout contact profane. Seulement, chaque jour, à une certaine heure, l’artiste pénétrait seul, d’un pas furtif, dans l’atelier, soulevait le voile, contemplait son œuvre pendant quelques instans, puis se retirait en proie à une agitation extrême.
Le jeune sculpteur avait entièrement délaissé son ciseau depuis que sa dernière œuvre était achevée. Son atelier ne le voyait plus qu’à l’heure où il venait jeter un rapide regard sur la statue bien-aimée. Quel pouvait être le motif de cette conduite bizarre ? Était-ce pur caprice d’artiste, ennui et satiété d’ame malade, hésitation d’un génie chaste et effarouché qui tourne long-temps autour de l’œuvre nouvelle, avant d’oser l’aborder, comme un doigt discret se retire de la fleur fragile pour ne pas l’effeuiller ? Était-ce peur de faire crouler sous quelque coup de ciseau maladroit l’édifice élevé par un précédent chef-d’œuvre ? Il est si doux, une fois le but atteint, de se reposer sur la borne magique, au balancement de la brise ; il est si périlleux de repartir pour une navigation accomplie, et de tenter de nouveau les vents et les écueils. On ne savait que penser au juste. Quoi qu’il en fût, les méditations du jeune artiste s’étaient portées sur un autre objet que son art. Il passait toutes ses journées absorbé dans des lectures qui paraissaient l’attacher fortement. Quand il avait fini, il enfermait son livre avec la plus grande précaution. Un jour pourtant qu’il l’avait, par mégarde, oublié sur sa table de travail, sa mère, étant entrée dans la chambre d’Albert pour un détail d’arrangement domestique, put lire au dos du volume le nom de Platon ; le sinet était marqué en outre au livre du Phédon.
Cette vie si nouvelle avait frappé la mère de l’artiste, sans que