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M. de Saint-Priest fait de saint Éloi, de ce fidèle Achate du héros mérovingien, un portrait très aimable, très parlant ; il lui retrouve quelque chose de la physionomie d’un Fénelon primitif. En général l’auteur affectionne les rapprochemens avec le temps présent ; ces sortes de comparaisons greffent plus au vif sur le moderne et mordent mieux, pour ainsi dire. La critique pourra trouver qu’il les prodigue ; ce n’est pas trop au lecteur de s’en plaindre, car cette manière de mettre un nom de notre connaissance au bout de la pensée éclaire et détermine singulièrement, même quand cela est poussé un peu loin. L’auteur fait ainsi beau jeu aux contradicteurs, en leur offrant son point de vue sous l’aspect le plus propre à être un point de mire.

Cependant, tout aussitôt après Dagobert, la décadence de sa race, un moment retardée, reprend son cours et se déclare par mille symptômes. Le règne des maires du palais, ou de ceux qu’on a qualifiés de ce nom, commence. L’un d’eux, Hébroïn, essaie encore de maintenir en honneur l’idée de vieille race et de défendre le plein pouvoir sacré de ses rois ; mais, après une lutte vigoureuse et des fortunes très diverses, il succombe ; un de ces leudes dont il combattait l’avènement lui fend la tête d’un coup de hache. « On peut peser à loisir, écrit l’historien de la Royauté, les crimes, le génie, les vertus et les vices de cet homme extraordinaire : bornons-nous à dire que la hache de son assassin brisa toute la race des Mérovéades. Voilà la gloire de ce Richelieu prématuré. » Un tel nom sur le front d’Hébroïn, à travers de telles ténèbres, pourra paraître bien hardiment imposé ; il va du moins le fixer plus nettement dans notre mémoire, et désormais, qu’on y consente ou non, Hébroïn à coup sûr y gagnera.

La famille des Carlovingiens apparaît. M. de Saint-Priest se déclare avec beaucoup d’insistance contre l’origine prétendue germanique


    Étel ? Il peut nous être déjà très sensible combien ce genre d’adoucissement pénètre de toutes parts dans la tradition populaire grossissante autour du héros d’hier, qui n’était pas tendre précisément. J’ai sous les yeux deux chansons des rues, en tête desquelles Napoléon sur sa colonne est mis en regard (j’en demande bien pardon) de la plus adorable et de la plus ineffable image de la mansuétude divine et humaine, et, dans le parallèle que déduit au long la complainte bien plutôt niaise que sacrilége, il est dit sérieusement :

    Napoléon aimait la guerre,
    Et son peuple comme Jésus !

    Je voudrais bien pouvoir n’en conclure qu’une chose, c’est que, même à tort et à travers, l’humanité ne conçoit rien de grand à la longue sans une certaine bonté.