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de l’Italie, une sorte de forum intellectuel. C’est ainsi que naquit le Conciliateur.

Il est inutile de dire que ce journal était purement littéraire[1] ; le despotisme autrichien n’aurait pas souffert l’ombre même d’une discussion politique ; c’était beaucoup déjà que de tolérer des théories d’art qui concluaient à l’indépendance de l’esprit humain, et bientôt les ciseaux de la censure tronquèrent avec une brutalité tudesque les articles littéraires les plus inoffensifs. Ces exécutions quotidiennes témoignaient des défiances du maître contre cette œuvre éminemment nationale. On peut comparer le Conciliateur à l’ancien Globe ; il défendait à peu près les mêmes doctrines en opposition à la Bibliothèque italienne, qui représentait les théories classiques dans ce qu’elles ont de plus étroit, de plus suranné. À ce titre, la Bibliothèque italienne avait et méritait les sympathies officielles. On ne voyait jamais de blancs dans ses articles ; mais les vides de son rival l’écrasaient sous leur muette éloquence. Les lignes supprimées faisaient plus d’effet que les autres ; l’imagination du lecteur allait bien plus loin que jamais la plume de l’auteur n’eût osé le faire.

À la même époque, si l’on en croit Maroncelli, Pellico eut la louable pensée de faire publier par souscriptions une grande histoire de l’Italie ; une société fut fondée dans ce but ; les souscripteurs affluèrent, et Carlo Botta fut invité comme le plus digne à élever ce monument national.

Ces soins divers, dont quelques-uns étaient purement matériels, ne détournèrent point Silvio de ses travaux littéraires, car c’est dans ce temps et pendant la publication du Conciliateur qu’il composa sa seconde tragédie, Eufemio di Messina. C’est le sujet de Judith, avec cette complication qu’Eufemio, l’Holopherne sicilien, est le propre mari de Lodovica, sa meurtrière. Il semble qu’il n’y ait rien là de subversif ; cependant la censure s’émut et ne permit d’imprimer la pièce qu’à la condition qu’elle ne serait point représentée. Il est vrai qu’Eufemio, poussé comme le comte Julien par un dépit d’amour, a, comme lui, appelé les Sarrasins dans sa patrie, et qu’il périt à la fin, en expiation de ce crime anti-national. Où l’auteur a écrit Sarrasins, les spectateurs auraient entendu Autrichiens ; de là mille allusions contre la domination étrangère. C’est ce qu’on ne voulait pas, et la pièce, en effet, ne fut jamais jouée.

  1. Nous en avons parlé dans notre travail sur Manzoni. — Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1834.