Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/946

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
942
REVUE DES DEUX MONDES.

veille les chapitres curieux de l’histoire des vieux peintres. J’aime à me représenter, en costume de Marie Stuart, fraise, dentelles et vertugadin, la mère de Jacques Callot lui prenant les mains au coin de la grande cheminée, lui caressant les cheveux, lui souriant avec une tendresse mélancolique, enfin lui racontant quelque merveille de l’art. Et là-dessus Jacques montait à sa chambre, taillait sa plume ou son crayon, et, sans savoir ce qu’il faisait, jetait des lignes à tort et à travers. Quand il avait épuisé son ardeur, il se penchait à sa lucarne, émiettait aux moineaux le pain qui ne lui avait pas servi pour éclaircir ses dessins, repassait dans sa mémoire tous les récits de sa mère, et promenait ses regards dans les rues ou sur les croisées du voisinage. Par sa lucarne, il avait en spectacle un charmant paysage, encadré de bois et de montagnes, parsemé de bouquets d’arbres et de clochetons, sillonné de cultures diaprées. Dans les saisons humides, il pouvait suivre du regard, sur les verdoyantes prairies, les ondulations de ce ruisseau qui s’appelle la Meurthe ; mais Jacques se souciait peu des magnificences de la nature : il n’était pas de ceux qui s’éprennent de la magie de la couleur à la vue des flammes splendides du soleil couchant qui traversent la feuillée touffue et se perdent dans le bleu du ciel. Ce qui le frappait surtout dans la nature, c’était l’homme. De son temps, l’humanité avait encore mille caractères distincts ; le grand arbre avait mille greffes diverses ; soit par hasard, soit par le vœu du Créateur, alors plus qu’aujourd’hui peut-être tout homme avait l’esprit et l’habit de son rôle dans le drame mêlé de rires et de larmes qui se joue ici-bas. Jacques Callot, au lieu d’étudier les mystères et les grandeurs de la nature, étudiait, par curiosité enfantine encore, tout ce qu’il voyait de bizarre, d’extravagant, d’original. En un mot, parmi les comédiens de la vie qui jouaient leur rôle sous ses yeux, ceux qui le charmaient le plus étaient toujours des soldats fanfarons, des chanteurs de complaintes ouvrant une bouche plus grande que leur sébile, des saltimbanques préludant à leurs pantalonnades, des mendians avec leurs guenilles pittoresques, des pélerins avec leur pourpoint tailladé par le temps, émaillé, étoilé, sillonné de rosaires de buis, de fleurs artificielles, de médailles de plomb, enfin de toutes les fanfreluches dévotieuses de Notre-Dame-de-Bon-Secours. En 1600, il n’y avait guère dans les provinces que des théâtres en plein vent ; aussi c’était le beau temps des conducteurs d’ours, des bohémiens tirant l’horoscope, des Gilles et des Pierrots dansant sur l’estrade les jours de fête. Toutes les figures franchement grotesques ou bouffonnes qu’il voyait, Jacques