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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/947

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JACQUES CALLOT.

essayait bientôt de les crayonner, soit dans sa chambre, soit en pleine rue. On l’a vu plus d’une fois, s’asseyant sur le pavé sans façon, ouvrir son carton d’écolier, y prendre son papier, sa plume ou son crayon, et, de l’air le plus tranquille, dessiner quelque joueur de gobelets qui semblait poser pour lui. Une fois, entre autres, son père le rencontra assis sur le bord d’une fontaine de Nancy, les pieds nus dans l’eau, crayonnant avec une ardeur sans pareille le grand nez et la grande bouche d’un Gilles qui s’escrimait à quelque distance.

Quand Jacques manquait de spectacles pareils, il trouvait encore de quoi amuser ses crayons ; n’avait-il pas toujours sous les yeux, tantôt de face, tantôt de profil, tantôt digne et sévère jusqu’à la bouffonnerie, tantôt enluminée par le culte de Bacchus, la figure de son maître d’école ? Et puis, quand il était fatigué de la leçon, il était bien de taille à faire l’école buissonnière ; il se jetait dans la première église ouverte, il passait de longues heures en contemplation devant les sculptures des autels et des tombeaux, les fresques des chapelles, les vitraux gothiques des ogives, les tableaux religieux des vieux maîtres naïfs. Il allait partout où il y avait quelque chose de curieux à voir, dans les églises, dans les monastères, dans les hôtels, jusqu’au palais du duc de Lorraine. Grace à sa jolie figure à demi ombragée de cheveux blonds, grace aux précieuses dentelles de Flandre dont sa mère ornait sa fraise et ses manchettes, on le laissait toujours passer sans résistance. La jeunesse est si belle et si bonne à voir ; un enfant qui joue, qui court ou qui sourit, n’est-ce pas un songe charmant du passé ?

Un dimanche à son réveil, Jacques se mit à sa lucarne aux sons du fifre et du tambour de basque d’une troupe de bohémiens qui dressaient leurs tentes devant l’hôtel de Marque. Les rayons d’un soleil printanier répandaient sur la troupe un riant et doux éclat. Jacques, émerveillé du spectacle, descendit d’abord sur la gouttière pour contempler avec plus de loisir, puis il abandonna la gouttière pour la cheminée ; c’était une vraie place d’avant-scène. Là, sans mot dire, l’œil fixe, la bouche entr’ouverte, l’oreille au guet, il assista, le rideau levé, à tous les préparatifs du spectacle ; les décors furent tirés d’un léger chariot attelé d’un âne, lequel âne et lequel chariot étaient eux-mêmes comédien et décor. On fit briller au soleil, avec une certaine majesté, les souquenilles pailletées mille fois flétries ; trois enfans à la mamelle furent déposés pêle-mêle avec des lions et des serpens de carton qui leur servaient de jouets. Jacques vit en moins d’un quart d’heure sortir tant de choses naturelles et surnatu-