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compagnie. Il arriva à Nancy après un mois de cet ennuyeux voyage. Son père l’accueillit par un sermon sur l’école buissonnière et un discours sur la science héraldique ; aussi Callot se promit bien de voyager encore. Il ne fut retenu un peu que par les larmes de sa mère.

Vous le savez, vous le devinez, Jacques repartit bientôt avec une bourse légère, sans avertir personne. Il prit la route d’Italie par la Savoie, après avoir côtoyé le lac de Genève. On n’a pas l’historique de ce second voyage ; on sait à peine qu’il vécut en aventurier dans les mauvaises hôtelleries, souvent en compagnie de pèlerins, de comédiens, de matamores, de gueux de toute espèce. Il arriva à Turin sans trop de mésaventures, mais à Turin il fit encore une mauvaise rencontre, celle de son frère le procureur, qui voyageait pour la justice. Aussi ce frère impitoyable s’empressa-t-il de lui signifier qu’il le prenait en flagrant délit contre l’autorité paternelle, qu’en conséquence il le condamnait à rebrousser chemin.

Le croira-t-on ? le pauvre Jacques fut contraint de retourner à Nancy, à la requête du procureur, en croupe sur le cheval de dame justice. Ce qu’on croira avec plus de peine, c’est que Jacques partit une troisième fois, mais avec le consentement et les larmes protectrices de son père lui-même. Il partit à la suite de l’ambassade de Lorraine, qui allait apprendre au pape l’avénement au trône de Henri II. Callot avait quinze ans, il n’y avait pas encore de temps perdu pour étudier à Rome. On peindrait mal son enthousiasme pour les merveilles de l’antique cité ; ce fut pourtant un enthousiasme passager, car bientôt il se complut mieux au spectacle de la rue qu’à la contemplation des chefs-d’œuvre de Michel-Ange ; la signora Lavinia, avec sa robe à queue et son chapeau à plumes, éveilla mieux sa verve que la vierge adorable de Raphaël. Il travailla sous plusieurs maîtres, mais il n’écouta jamais que lui-même. À force de faire de légers croquis, de représenter, comme le vieux Timante, beaucoup de choses en peu d’espace, il sentit vaguement que son avenir n’était pas dans la peinture ; d’ailleurs alors, malgré les nobles tentatives des Carraches, la peinture tombait en décadence. Il se prit pour la gravure d’une belle ardeur, comme il avait fait pour le dessin. Il entra à l’atelier de Thomassin, un vieux graveur français qui s’était fixé à Rome. La gravure était encore un art au berceau ; hormis Albert Dürer et quelques artistes allemands, tous les graveurs s’ensevelissaient dans les langes de ce nouveau venu. Thomassin, avec un talent assez mince, avait fait fortune à Rome. Il gravait des sujets religieux, çà et là un sujet profane ; Jacques Callot