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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

et les disgraces de saint Chrysostôme préoccupent les esprits plus que les épouvantables malheurs de l’invasion barbare. Alaric et Attila frappent et exterminent les hommes plus encore qu’ils ne les occupent, et ceux même qui semblent tourner leurs pensées vers de pareilles catastrophes, ne les considèrent que comme les signes précurseurs du jugement dernier[1]. Ils s’inquiètent plus de rechercher si les soixante-dix semaines de Daniel, qu’ils appliquent au second avénement du Christ, sont près d’être accomplies, que de raconter les malheurs de l’empire. Ils ne citent ces malheurs qu’en passant et comme une vérification des paroles de l’Évangile[2]. Enfin, les calamités du monde servent d’argumens théologiques plutôt que de sujets de plaintes et de lamentations.

L’Afrique, à cette époque, était moins affligée que les autres provinces de l’empire, et elle servait de refuge aux familles romaines chassées de l’Italie par les barbares. Jusqu’à l’invasion des Vandales, en 424, elle échappa aux malheurs qui désolaient le monde. Elle avait ses barbares intérieurs, les Maures, les Garamantes, les Austuriens, qui, de temps en temps, venaient piller les riches domaines que les citadins d’Hippone, de Carthage ou de Leptine avaient dans l’intérieur des terres ; mais ces courses de pillards ne ressemblaient pas à ces invasions des barbares du Nord qui chassaient devant eux les habitans des provinces de l’empire ou les réduisaient en esclavage. Ç’a été d’ailleurs de tout temps le caractère de l’Afrique septentrionale d’avoir dans son sein la barbarie à côté de la civilisation, et de les faire vivre l’une à côté de l’autre, sans que jamais la barbarie des tribus du désert ou des montagnards de l’Atlas ait pu anéantir la civilisation des villes des bords de la mer, sans que jamais non plus les Carthaginois et les Romains aient pu vaincre ou aient pu corrompre la barbarie africaine.

Ce qu’ils n’ont pu faire, n’espérons pas que nous le ferons ; ne l’essayons même pas. Sous la France, comme sous Rome et sous Carthage, la civilisation aura les villes de la côte ; elle aura autour de ces villes une ceinture plus ou moins large de terres cultivées ; au-delà commencera la vie barbare ou la vie nomade. Au bord de

  1. Voyez les lettres d’Hesychius à saint Augustin et de saint Augustin à Hesychius. De fine seculi, lettres 198-199. (Saint Augustin, tome II.)
  2. In uno tempore, dit Hesychius (lettre 198, pag. 4) et signa in caelo et pressuram gentium in terris ab hominibus videri et sustineri manifestum est…… Nullam patriam, nullum locum nostris temporibus non affligi aut humiliari certum est.