Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/980

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
976
REVUE DES DEUX MONDES.

qui habitait le pays des Arzuges[1], quelques renseignemens qui montrent le genre de rapports que les Romains des Arzuges avaient avec les barbares. Publicola, chrétien fort scrupuleux, avait des inquiétudes sur le mélange perpétuel des colons avec les barbares, qui étaient idolâtres, et sur les péchés que pouvait commettre un chrétien en les prenant à son service ou en faisant commerce avec eux. Il consulte saint Augustin sur ce cas de conscience, et cette consultation devient un curieux tableau des mœurs de cette population intermédiaire que la nécessité crée toujours dans les colonies entre la barbarie indigène et la civilisation étrangère. Dans les Arzuges, les barbares servaient aux colons de commissionnaires et d’expéditeurs pour transporter leurs denrées ou leurs marchandises ; ils étaient les conducteurs des caravanes, comme le sont encore aujourd’hui particulièrement les habitans du Fezzan ; souvent aussi ils s’engageaient à défendre les récoltes des colons contre les incursions des tribus tout-à-fait barbares[2], ou bien ils conduisaient le voyageur et le garantissaient de toute insulte. Ces conventions se faisaient ordinairement entre les barbares et les colons, sans l’intervention d’aucune autorité publique ; parfois aussi le tribun ou le décemvir chargé de la garde de la frontière[3] faisait lui-même la convention, soit que le tribun traitât, pour ainsi dire, au nom des colons avec une tribu indépendante qui s’engageait à défendre la terre des Romains, soit que ce tribun fût lui-même le gouverneur et le préfet de tribus qui s’étaient soumises ou alliées aux Romains. Tel était, en effet, selon saint Augustin[4], l’état des populations barbares limitrophes de l’empire. Les unes étaient restées indépendantes et païennes ; les autres avaient reçu un préfet romain, et, parmi ces tribus, il y avait souvent quelques chrétiens.

Quand les barbares faisaient leurs conventions avec les colons, ils juraient par le nom de leurs dieux ou de leurs démons, et c’est là ce qui inquiète la conscience de Publicola. Un chrétien peut-il, sans péché, prendre part à une convention consacrée par un serment de

  1. La Bysacène, la Tripolitaine, la Subventane et les Arzuges forment aujourd’hui la régence de Tripoli et la partie orientale de la régence de Tunis. Les Arzuges étaient la contrée qui, au sud de cette régence, est la plus voisine du désert.
  2. « Qui ad deducendas bastagas pacti fuerant vel aliqui ad custodiendas fruges ipsas. » (Saint Augustin, lettre 46e.)
  3. « Decurio vel tribunus qui limiti præest. » (Même lettre.)
  4. 199e lettre. — À Hesychius.