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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

l’armée, cette population sera une cause de faiblesse, au lieu d’être une cause de force. Il faudra la défendre, et la défendre çà et là, partout où elle sera établie, si bien que la guerre sera faite au gré des fantaisies ou des calculs de la spéculation, et que nos soldats iront se faire tuer, non pour occuper une position stratégique, mais pour défendre un domaine acheté hier pour être vendu demain. Ce seront les notaires et non les généraux qui décideront de la marche de l’armée. Point de colons de ce genre ; il faut des colons qui sachent faire le coup de feu et qui l’aiment, des colons qui, comme ceux dont Cooper dans ses romans nous a raconté un peu longuement les aventures, soient toujours prêts à être éveillés par le cri de guerre des Arabes, non moins terrible que celui des Indiens.

Ces colons n’auront ni la vie, ni les idées, ni les mœurs des citadins ; ils auront les mœurs que leur feront le climat, le travail et le danger. Mais ce sont eux qui serviront d’intermédiaires entre les Européens de la côte et les Cabyles ou les Arabes. Ne croyez pas d’ailleurs que cette vie mêlée de travail et de péril, ne croyez même pas que ce voisinage et peut-être cette imitation de la vie barbare soient antipathiques au caractère français. J’ai lu dans l’histoire du Canada, de cet empire que la France avait fondé presque sans y penser et sans s’en occuper, laissant les colons à eux-mêmes et aux ressources que crée la nécessité, j’ai lu qu’il y avait des officiers français qui s’étaient fait adopter par les Indiens et qui vivaient parmi eux. Il n’y avait dans cette résolution aucun caprice de misantropie ou de mélancolie factice ; ils s’étaient laissé prendre à ce qui dans les habitudes de la vie sauvage s’accorde avec les penchans du caractère français, le goût de l’aventure et de l’expédition. Ces penchans peuvent encore beaucoup aider à l’œuvre de la colonisation en Afrique ; et pourvu que le gouvernement en Afrique ne prétende pas à trop d’uniformité, pourvu que nous laissions les choses et les hommes suivre quelque peu leur train naturel, nous aurons aussi nos pionniers parmi les colons, c’est-à-dire nos éclaireurs et nos gardes avancées, qui auront un genre de vie moitié arabe et moitié européen ; et, sachons-le bien, moins ces éclaireurs tiendront de l’Europe, plus les Cabyles et les Arabes seront tentés de se rapprocher d’eux et de former ainsi, en s’unissant à eux, une population mixte qui sera le véritable boulevard de l’Afrique civilisée contre les tribus tout-à-fait barbares du désert ou de la montagne.

Je trouve dans une lettre adressée à saint Augustin par Publicola,