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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/99

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HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ.

ni naturelle dans son objet. Cependant, si les vices qui ont déshonoré la Grèce s’y retrouvent dans toute leur laideur, ils ne s’y montrent plus dans leur audace ; ils ne sont plus attribués qu’à des êtres difformes ou ridicules, placés par l’esprit, le cœur et le sang, au dernier degré de l’échelle sociale. La jeunesse imprévoyante et frivole se rit encore de ces aberrations, mais ne les partage plus ; Astyle raille Gnathon sans songer à devenir son complice. La révolution opérée dans les mœurs ne se fait encore sentir que par d’imperceptibles nuances ; toutefois elle apparaît évidente dans une autre partie du tableau : Gnaton l’esclave est en plein polythéisme ; Astyle, le jeune patron, s’amuse et se divertit encore aux gaietés païennes ; les amours naïves et sensuelles des deux bergers flottent entre les deux croyances ; mais Cléariste et Dionysophane, le vieux patricien et l’antique matrone, ont déjà la dignité, le calme, la grace sévère de la famille chrétienne. En croyant les faire païens, Longus, ou l’auteur quel qu’il soit de Daphnis, faisait Dionysophane et Cléariste chrétiens à son insu. »

Ce sont de vrais oasis que de telles pages en si grave sujet. Ces restitutions rapides, ces plaisirs de coup d’œil, ces inductions avenantes, font précisément le triomphe et le jeu de la critique littéraire. L’histoire en a profité cette fois ; mais elle les admet peu en général ; son front, d’ordinaire impassible, ne laisse guère monter jusqu’à lui les mille éclairs sous-entendus et les sourires ; — et voilà pourquoi, en pur critique littéraire que je suis, j’ai toujours crainte de m’approcher, comme aussi j’ai peine à juger du masque de cette muse sévère.


Sainte-Beuve.