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généreuse. Ce n’est pas ainsi que l’a entendue et pratiquée le consul d’Angleterre à Barcelone. Plaignons-le, et espérons, pour l’honneur de notre époque, qu’il ne sera pas approuvé par son gouvernement ; il ne le sera certes pas par son pays. Nous ne sommes plus en 1799, et on n’était pas dans la rade de Naples.

En attendant, les évènemens qui viennent de se passer ont dû dessiller bien des yeux de l’autre côté des Pyrénées. L’Espagne doit reconnaître qu’on ne gagne jamais rien à s’écarter de la politique naturelle, car la politique naturelle c’est le bon sens. Quoi qu’on en dise, nous avons pris le meilleur moyen pour éclairer sur ses vrais intérêts un peuple aussi ombrageux et aussi lent dans ses retours que l’est le peuple espagnol. Nous l’avons laissé à lui-même, à ses réflexions, comme nous avons laissé son gouvernement à ses intrigues et à ses misères. Le gouvernement est aux abois, car il ne peut plus vivre que de violences. Une action calme et régulière lui devient de plus en plus impossible. La nation, de son côté, se demandera ce qu’on a gagné à se brouiller avec la France et à se priver des conseils désintéressés d’une nation qui n’a rien à craindre de l’Espagne, comme elle n’a rien à lui faire craindre ni à lui imposer. C’est là un enseignement que le temps achèvera. Ne nous pressons pas. Imitons cette fois la lenteur espagnole ; quand elle n’est pas poussée à l’excès, qu’elle n’est appliquée qu’aux choses qui la comportent, et qu’elle est animée d’une grande pensée, au lieu d’être un défaut, elle est une qualité. C’est de l’inertie en apparence ; en réalité, c’est de l’action : c’est un moyen à l’usage de la bonne et grande politique.

Nous oublions quelquefois ces préceptes d’une école qui a eu cependant de si grands maîtres en France. Si la France doit beaucoup à son courage, à son esprit militaire, à ses instincts de nationalité et d’unité, elle ne doit pas moins au génie politique de ses hommes d’état. Par leur admirable sagacité et par une persévérance d’autant plus habile et efficace qu’elle se cachait sous les formes les plus mobiles et les plus variées, ils ont créé la plus belle, la plus forte, la plus compacte des unités nationales. S’il est des empires plus vastes, des pays plus peuplés, des nations plus riches, il n’est point d’état mieux assis, mieux organisé, plus un que la France. Elle est, sous ce rapport, un modèle qui n’a pas d’égal dans l’histoire.

Les grandes choses (pourquoi ne le dirions-nous pas ?) nous sont plus difficiles aujourd’hui. L’histoire prouve que la politique des classes moyennes a presque toujours manqué de deux qualités essentielles, les longues prévisions et l’inébranlable patience. Il y a une grande politique et une petite politique, comme il y a un grand commerce et un commerce de détail. L’un médite, combine, sait attendre et quelquefois hasarder ; l’autre achète aujourd’hui, vend demain ; il veut promptement réaliser ; il se croit seul positif, parce qu’il ne pense pas ; il s’estime seul prudent, parce qu’il n’ose rien risquer ; il tient pour inactifs tous ceux qui attendent patiemment le lendemain et qui ne se fatiguent pas tous les jours aux petites choses. La grande