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REVUE. — CHRONIQUE.

politique est nécessairement l’œuvre d’un petit nombre de personnes ; la petite politique est le fait de tout le monde. Voyez l’Angleterre ! Avec un parlement si nombreux, peu d’orateurs touchent à la politique extérieure, et cette politique ne forme pas la partie la plus détaillée et la plus longue de leurs débats parlementaires. Ils savent que l’éclat en pareille matière nuit d’ordinaire au succès, et qu’on s’expose à briser les ressorts d’une machine délicate, si on les étale souvent aux yeux du public.

Convenons-en, nous sommes moins réservés, moins prudens. Nous voulons tout dire, tout savoir, tout entendre. Les causeries politiques à la tribune, même les indiscrétions nous enchantent. Nous en sommes flattés comme si un ministre nous donnait à lire dans son cabinet des dépêches réservées. Au fond, nous voulons deux choses assez contradictoires : nous voulons que le gouvernement nous parle beaucoup de sa politique, et qu’il n’en fasse point. C’est là le problème qu’on a proposé à tous les cabinets. Parlez-nous de politique, car cela nous amuse et nous flatte, et nous serons bien aises de vous dire notre avis, de vous faire sentir que nous en savons plus que vous. Ne faites point de politique, ne vous mêlez de rien, car toute action pourrait troubler le cours de nos affaires, nous imposer quelque sacrifice, déranger notre bilan ; seulement, il est bien entendu que, pour l’honneur du pays et pour sauver les apparences, nous vous blâmerons, de temps à autre, de cette inaction que nous vous aurons imposée. Cela a bon air aux yeux de l’étranger.

C’est là l’histoire du projet de l’union franco-belge. Supposons que la Belgique ayant fait à notre gouvernement des propositions raisonnables, il les eût rudement repoussées, qu’il n’eût pas même voulu en entendre parler ; que serait-il arrivé ? Le cabinet aurait encouru le blâme le plus sévère, je ne dis pas seulement de la part de l’opposition, cela est tout naturel, d’autant plus naturel que l’opposition, une grande partie du moins, est sincèrement convaincue de l’utilité de la mesure ; mais le cabinet, n’en doutons pas, aurait été blâmé même par des conservateurs, peut-être par le plus grand nombre. On aurait trouvé là un moyen de popularité qui ne coûtait rien, et, ces moyens-là, on ne les laisse pas échapper.

Au lieu de le repousser, le cabinet a accueilli, ou du moins il a paru accueillir le projet avec quelque faveur. L’opposition, celle qui était persuadée des avantages de l’union, n’a point failli à ses convictions. Elle ne s’est pas faite ministérielle, mais elle n’a pas repoussé le projet par cela seul qu’il paraissait ne pas déplaire à un cabinet qu’elle n’aime pas. Elle a dit au ministère : Je ne vous tiens pas pour apte à conclure, c’est une trop forte tâche pour vous ; mais elle ne lui a pas dit : L’affaire que vous négociez n’est pas bonne. C’est surtout des rangs des conservateurs qu’est venue, énergique, violente, l’opposition sur le fond. Ce sont des conservateurs qui ont dit à la France, à son commerce, à son industrie : Voilà vos limites, vous n’irez pas plus loin ; car il nous convient à nous que vous ne dépassiez pas ces bornes !