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DE LA LÉGISLATION ANGLAISE SUR LES CÉRÉALES.

l’industrie redoubler ses clameurs contre les lois qui protégent l’agriculture. La ligue des abolitionistes (anti-corn-law league), constituée en permanence depuis plusieurs mois, a inondé les villes et les comtés de prédicateurs ambulans chargés d’exploiter le mécontentement des classes ouvrières ; sur tous les points du royaume, elle a dénoncé à la haine publique le prétendu monopole de la grande propriété.

Nous ne pouvons nous associer à ces déclamations envieuses. S’il y a une branche d’industrie qui nous paraisse avoir des titres inaliénables à la protection des lois, c’est assurément l’agriculture, qui est le fondement de la sécurité des états, comme de la moralité des populations. Mais le premier principe des lois de protection, c’est qu’elles doivent s’accorder, autant que possible, avec la satisfaction due aux intérêts rivaux de ceux qu’elles protégent. Or, s’il est vrai, comme nous le croyons, que la législation des céréales ne soit pas la cause première des crises et des convulsions industrielles qui se renouvellent si souvent en Angleterre, on ne peut nier cependant qu’elle ne contribue indirectement à les créer par les effets du principe factice et profondément vicieux sur lequel elle est basée.

Pour apprécier justement les désordres qui troublent le système économique de la Grande-Bretagne, il faut remonter jusqu’aux temps de la révolution et de l’empire. Afin de soutenir la lutte mortelle qu’elle avait engagée avec Napoléon, l’Angleterre avait multiplié ses forces et décuplé sa vie. Le blocus continental, dans lequel l’empereur l’avait enfermée pour l’étouffer, n’avait fait que donner un nouvel élan à sa puissance de production ; plus elle était pressée dans cette terrible étreinte, plus elle dégorgeait, pour ainsi dire, sur le monde des flots inépuisables de son industrie. Jamais son commerce et ses manufactures n’atteignirent un plus haut degré de prospérité qu’au moment même où la guerre générale semblait lui avoir fermé toutes les issues. Ses flottes avaient détruit successivement celles de la France, de la Hollande et de l’Espagne. Restée seule maîtresse de la mer, elle monopolisait presque tout le commerce du monde, pendant que l’accroissement de ses possessions coloniales lui ouvrait sans cesse de nouveaux débouchés.

Si cette prospérité extraordinaire eût reposé sur des bases saines et régulières, la Grande-Bretagne eût offert un spectacle inoui dans l’histoire du monde ; mais, comme l’a dit avec vérité un historien anglais, semblable à un joueur prodigue, elle dissipa en quelques années les trésors épargnés par les siècles passés et réservés pour les générations futures. Pour faire face à l’équipement de ses flottes