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REVUE. — CHRONIQUE.

à lui seul pour défrayer une comédie, et une comédie de l’ordre le plus élevé, le caractère d’une femme politique. Il existe une créature bien autrement perfide, dissimulée, désespérante, habile, altière, radieuse, invulnérable, que la Célimène qui se contente des salons et des boudoirs : c’est la Célimène qui se glisse au cabinet de l’homme d’état. Figurez-vous, sous un front blanc et lisse, un esprit aussi froid et aussi agile, aussi pénétrant et aussi caché que celui qui vivait sous le front ridé de M. de Talleyrand. Qui n’a point contemplé avec effroi les mystérieux abîmes d’égoïsme que renferme une ame de coquette ? Chez la Célimène politique, la frivole et inexplicable cruauté des femmes qui ne donnent jamais leur amour se complique de l’insensibilité systématique des hommes qui ne donnent jamais leur dévouement. Elle a des lèvres où joue le sourire, des yeux où la rêverie a l’air parfois de se glisser, et il n’y a sous son front qu’un casier rempli de notes et de chiffres ; elle n’a même point pour ses charmes le culte que se vouent certaines beautés : elle aime ses attraits comme des instrumens, voilà tout. Même devant son miroir, elle n’a jamais eu de secrets élans de tendresse. Le personnage de M. Scribe ne ressemble en rien à cette créature. Lady Torringham n’est ni une femme politique, ni une femme vraiment amoureuse ; au théâtre, où les caractères mixtes n’ont jamais réussi, elle ne pouvait point produire d’effet. On s’irrite de la maladresse avec laquelle lady Régine nuit elle-même à son amour. On voudrait qu’elle choisît entre les deux passions dont elle essaie de servir les intérêts à la fois, qu’elle fût franchement rouée ou franchement tendre, qu’elle suivît les conseils de son esprit et ne songeât qu’à l’ambition, ou qu’avec l’instinct du cœur elle comprît la situation de celui qu’elle aime, et vînt, en se débarrassant de toutes les toiles d’araignée de ses intrigues, se jeter dans ses bras. Le rôle du roi et celui de lord Penruddock auraient pu aussi être tracés avec plus de bonheur. Si frivole qu’ait été Charles II, nous aurions aimé à lui voir quelques-uns de ces mouvemens de dignité que le sang royal inspire aux souverains les plus dégénérés à certaines époques de la vie ; et, quant au vieux lord Penruddock, nous aurions voulu que les exagérations de sa fidélité fussent traitées par le poète comique avec cette ironie qui touche aux objets sans les froisser. Il y a un sourire qui vient sur la bouche en même temps que les yeux s’attendrissent, c’est celui-là que devaient exciter les erreurs d’un sentiment qui, en lui-même, est touchant et généreux. Des illusions et de la candeur sous un chef chenu ont quelque chose qui émeut et intéresse ; on se sent peiné de voir mêlés aux plus nobles affections de l’ame des ridicules vulgaires et des passions mesquines. Le personnage d’Éphraïm Kilseen vaut mieux que tous les personnages précédens. Kilseen est le type de ces intrigans de bas étage qui mettent au service du plus offrant la puissance qu’ils ont acquise par leur popularité de taverne. Membre de la chambre basse, il trafique de sa conscience et de vingt-deux autres sur lesquelles il est habitué à régner. Dans les péripéties du grand drame politique qui se joue en France depuis que le gouvernement constitutionnel est fondé, on a vu plus d’une fois une question importante décidée par les reviremens subits et inexpliqués