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DU SORT DES CLASSES LABORIEUSES.

trop favoriser l’association libre des petits capitaux dans le but d’une exploitation quelconque. Augmenter le nombre des entrepreneurs en diminuant celui des salariés, c’est augmenter la concurrence que se font les premiers en restreignant celle qui existe entre les seconds ; c’est réaliser la double condition d’une élévation des salaires.

On a parlé bien des fois, chez nous, de fonder les Invalides de l’industrie. Pendant que nous dissertions, nos voisins agissaient. « En Russie, dit M. Buret, à tout entrepreneur qui monte une usine, on demande d’avance combien d’ouvriers il veut employer, et on exige de lui qu’il établisse à côté de ses ateliers une infirmerie d’un nombre de lits en proportion de celui des ouvriers qu’il se propose d’occuper. » Ce genre de solidarité établi entre le maître et l’ouvrier est de toute justice : il passera tôt ou tard en principe, et ce sera la réconciliation du capital et du travail. La Belgique vient de réorganiser dans cet esprit ses sociétés de secours mutuels pour l’industrie des mines, l’une des plus considérables du pays. Au lieu d’une cotisation volontaire et perçue irrégulièrement, on opère une retenue forcée sur tous les salaires, et la direction est obligée de mettre à la caisse une somme égale au total de celle qui est fournie par les ouvriers. Il n’est pas possible que la France ne cherche pas à s’approprier un principe juste et généreux. Qu’on maintienne les sociétés libres de prévoyance pour les ouvriers auxquels répugneraient, en cas de maladie accidentelle, les secours de la bienfaisance publique ; mais, pour la vieillesse, qui doit être entourée de respect, nous voudrions une mesure générale, qui eût la force et la majesté, d’une loi. C’est particulièrement en vue de cette réforme qu’un classement de la société industrielle nous a paru désirable. La surveillance des syndicats étant régularisée, il deviendrait possible d’établir une perception équitable sur les salaires et sur les profits des entrepreneurs. Le fonds de secours ainsi formé serait destiné aux vieillards qui justifieraient par leurs livrets ou par les registres des syndicats d’un certain nombre d’années de service industriel. Nous allons plus loin : il y a des travailleurs muets qui devraient, selon nous, fournir leur contingent à la caisse commune ; nous voulons parler des machines, qui font à la classe ouvrière une assez rude concurrence pour lui rendre quelque peu de ce qu’elles lui disputent. Toute machine mue par une force inanimée, comme l’eau ou la vapeur, devrait verser à la caisse, pour tout le temps qu’elle serait mise en mouvement, une somme égale à la cotisation du nombre d’hommes qu’elle représente[1]. Le calcul serait fait sur le salaire des ouvriers de la dernière classe. À ceux qui se récrieraient à l’idée d’un impôt sur les machines, nous nous contenterons de répondre qu’il y a des impôts beaucoup plus dispendieux encore, auxquels les peuples imprévoyans doivent tôt ou tard se soumettre : la taxe des pauvres ou les frais de l’émeute.

  1. La force d’un cheval représente celle de cinq à six hommes.