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« Quel dîner ! » Ainsi le hasard, il a quelquefois son grain de malice, donna aux états de 1593 le burlesque dénouement dont ils étaient dignes.

« Le lendemain, continue Le Grain, dont les termes piquans veulent être notés, chacun se retira en son gouvernement, laissant les Castillans ronger leur frein à Paris, avec un petit reste des députez de ces beaux estats. » Il demeura en effet quelques membres chargés de représenter les absens pour la forme, et qui continuèrent à tenir des séances oiseuses, à déclamer sur des riens, à se chercher de viles querelles. C’est assurément un des plus tristes spectacles de l’histoire que celui d’une assemblée ainsi réunie dans les plus graves circonstances peut-être où se soit trouvé le pays, d’une assemblée venue pour donner un gouvernement à la France et qui finit par une honteuse comédie. On ne saurait vraiment croire de quelles puérilités il fut question aux séances dans les derniers mois des états. Tantôt, c’est une longue discussion sur je ne sais quel élève en médecine de Senlis qui avait osé dédier sa thèse au Béarnais ; tantôt, c’est le cardinal de Pellevé qui est en humeur, parce que le tiers ne lui a accordé, sur ses plaintes expresses, que deux coterets pour chauffer sa chambre. De pareils détails sont caractéristiques. L’opinion n’avait pas tardé à faire justice de ces indignités, et rien ne manqua à l’abaissement de cette assemblée, pas même la conscience du dégoût qu’elle soulevait. L’évêque Rose en effet vint officiellement, au nom du clergé, « proposer à messieurs du tiers le mespris qu’on faisoit par la ville de ceste compagnie des estats, à quoy on ne pouvait remédier. » Aucune assemblée publique est-elle jamais tombée si bas ? Le sénat de Tibère, le parlement de Henri VIII, étaient avilis par un maître dont ils avaient peur ; les états de la ligue s’avilirent eux-mêmes. Au lieu d’être odieux, ils furent ridicules ; au lieu de les haïr, on les méprisa.

Ce discrédit se propagea dans toute la France, et, comme dit d’Aubigné, les bonnes villes commencèrent à mettre de l’eau dans leur vin. Malgré les réclamations des membres restans, les municipalités refusèrent en effet obstinément « aucune commodité pour les aider à vivre. » Quand le député Étienne Bernard, par exemple, vint, avec une lettre pressante de Mayenne, demander aux états de Bourgogne l’autorisation de lever des deniers pour le salaire des députés aux états de Paris, à raison de quinze livres par jour, un refus très catégorique fut voté et nettement motivé, « sur la longueur du temps qu’ils avaient demeuré à rien faire. » Une assemblée particulière de province blâmant une assemblée générale de toutes les provinces, la partie condamnant le tout, c’est un trait qui achève le tableau. Aussi, après le spectacle des séances sans nom qui se prolongèrent pendant quelques mois, le parlement répondit-il au sentiment public, à l’opinion vraiment française, en déclarant, dès le lendemain de l’entrée de Henri IV à Paris, que tout ce qui avait été fait par ces prétendus états-généraux était nul, et en ordonnant aux députés de se retirer au plus vite « en leur pays et maisons. » M. Auguste Bernard a beau traiter ce jugement de palinodie ; ce n’était après tout qu’un acte tardif de justice, ce n’était que la conséquence de la patriotique et honorable voie dans