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HISTORIENS ESPAGNOLS.

ont le même genre de mérite. L’incomparable concentration de cette rude langue romaine, qui s’était formée par l’habitude du commandement, soit dans la législation, soit dans la guerre, soit dans les mœurs austères du patriciat, leur prête une énergie naturelle qu’ils perfectionnent et polissent par le travail. Ils ont par eux-mêmes la force de la concision, ils empruntent aux Grecs le charme de l’élégance, et poussent à ses dernières limites la science de l’expression.

Tous les grands écrivains modernes ont puisé à cette source commune. Dante prend Virgile pour guide dans ses vers comme dans son voyage. On a retrouvé dans Boccace les formes de style de Cicéron. Montaigne est tout latin. Pourquoi Mendoza aurait-il tort de l’être ? Avant de partir pour l’Italie, il écrit Lazarille de Tormes, qui est tout espagnol ; à son retour, quand il a été éprouvé par les fortes études et les grands emplois, il préfère l’imitation de l’antiquité, il veut être classique. C’est qu’il a senti, par l’usage de la vie et par la réflexion, combien l’une des deux manières est supérieure à l’autre. Lazarille était une boutade charmante et pleine de verve ; la guerre de Grenade est une œuvre de goût et de travail. Le premier écrit de Mendoza avait la grace de la jeunesse ; le second a la puissance de l’âge mûr. Dans le roman, il était léger et facile. Dans l’histoire, il est sérieux et élevé. Il ne se contente plus de faire des esquisses, il veut peindre ; c’est un politique, un philosophe, un moraliste, qui cherche les causes des évènemens, qui analyse les caractères, juge les actions humaines, et fait passer dans sa langue la gravité solennelle de ses pensées. Il est plus grand par l’histoire que par le roman.

On peut même dire que, sous un certain rapport, il n’est pas moins original. Lazarille n’est pas tout-à-fait sans précédens en Espagne ; quand il n’y aurait que la Célestine, cette création singulière de la fin du XVe siècle, demi-drame et demi-roman, ce serait assez pour lui en trouver au moins un. L’Histoire de la guerre de Grenade n’en a pas. C’est la première histoire digne de ce nom qui ait été écrite en espagnol. Zurita, le contemporain et l’ami de Mendoza, est le seul qui pourrait lui disputer ce rang ; mais la différence entre les deux ouvrages est si grande, que la comparaison devient impossible. Zurita se distingue surtout par la patience et l’érudition ; il cherche uniquement à mettre de l’ordre dans la confusion des annales aragonaises, et la seule étendue de son livre suffirait pour montrer qu’il n’a guère pu s’attacher à la forme. L’histoire de Mendoza est au contraire très courte, comme celles de Salluste ; elle forme tout au