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distinguer le faux du vrai. Peu à peu il se remit ; il congédia d’abord presque tous ceux qui l’accompagnaient, soit qu’il n’osât pas leur dire autrement de songer à sauver leur vie, soit qu’il ne voulût pas avoir de si nombreux témoins dans le cas où il serait contraint de se retirer. Puis il rejeta le conseil qu’on lui donnait comme ayant de grands dangers, soit pour Barcelone, soit pour toute la province. Jugeant que la fuite était indigne de sa position, il sacrifia intérieurement sa vie à la dignité du mandat royal, et se disposa à attendre fermement à son poste toutes les chances de sa fortune.

« De la conduite des magistrats dans cette affaire, je n’en veux rien dire. Tantôt la crainte, tantôt le calcul, les portaient à agir ou à s’effacer, suivant leurs convenances. On donne pour certain qu’ils ne purent jamais croire que le peuple en viendrait à de telles extrémités, n’ayant guère tenu compte de ses premières démonstrations. De son côté, le misérable vice-roi continuait à s’agiter, comme le naufragé qui travaille encore à atteindre le rivage. Il tournait et retournait dans son esprit le mal et le remède : dernier effort de son activité qui devait être le dernier acte de sa vie. Renfermé dans son cabinet, il donnait des ordres par écrit et de vive voix ; mais on n’obéissait déjà plus ni à ses écrits ni à ses paroles. Les fonctionnaires royaux ne cherchaient qu’à se faire oublier et ne pouvaient lui servir en rien ; quant aux fonctionnaires provinciaux, ils ne voulaient ni commander ni encore moins obéir. Pour dernière ressource, il voulut céder aux réclamations du peuple, et lui remettre la direction des affaires publiques ; mais le peuple ne voulait déjà plus recevoir de lui aucune concession, car nul ne consent à devoir à un autre ce qu’il peut prendre par lui-même. Il ne put seulement pas réussir à faire connaître sa résolution aux mutins ; la révolte avait tellement désorganisé l’administration, qu’aucun de ses ressorts ne fonctionnait plus, comme il arrive au corps humain dans les maladies.

« À ce nouveau désappointement, il reconnut enfin combien sa présence était inutile, et ne songea plus qu’à sauver ses jours. Peut-être n’y avait-il d’autre moyen de calmer les mutins que de leur donner satisfaction en quittant la ville. Il l’essaya, mais sans succès. Ceux qui occupaient l’arsenal et le boulevard de la mer avaient forcé à coups de canon une des galères à s’éloigner. D’ailleurs, pour se rendre jusqu’au port, il fallait passer sous la bouche des arquebuses. Il rentra donc, suivi d’un petit groupe, au moment où les séditieux forçaient les portes. Ceux qui gardaient le palais se mêlèrent aux