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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/468

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tains intérêts qui avaient joui jusqu’à présent, à la faveur des tarifs, d’un monopole à peu près absolu du marché intérieur. Ces intérêts se coalisent, assiégent les hôtels des ministres, et prennent, jusque dans les conseils généraux de l’agriculture et des manufactures, un langage tantôt lamentable et tantôt menaçant. Il faut bien que nos manufacturiers croient à un changement inévitable et prochain dans notre situation économique, puisqu’ils font de tels efforts pour dominer la volonté des pouvoirs publics.

En 1834, les alarmes de celles de nos industries que protège la prohibition ou un droit prohibitif, n’étaient éveillées que par la concurrence de l’Angleterre. Dans l’enquête à laquelle procédait alors le gouvernement français, le nom de la Belgique fut à peine prononcé, et un seul manufacturier, un fabricant de draps, depuis ministre, M. Cunin-Gridaine, parut redouter sérieusement les produits similaires de ce pays. Aujourd’hui, nos grands industriels, rassurés du côté de l’Angleterre par les conséquences d’un dissentiment national, tournent toutes leurs batteries contre la Belgique. Si le gouvernement cède à cette pression des intérêts privilégiés, c’en est fait de notre avenir commercial. La rupture des négociations entamées avec la Belgique signifiera qu’il n’y a plus de traité ni d’alliance de commerce possible entre la France et les états placés dans son rayon.

On doit reconnaître que les circonstances extérieures favorisent jusqu’à un certain point la réaction que les industries coalisées entreprennent, à la dernière heure, contre le mouvement des esprits. En dehors de la France, le monde se fait prohibitif. La manie de l’industrie manufacturière et du système protecteur qui en accompagne les débuts semble gagner aujourd’hui tous les peuples. La Russie, qui avait dans ses laines, dans ses blés et dans ses bois d’inépuisables moyens d’échange, convertit les grains en eaux-de-vie, élève des filatures, se met à tisser la laine et la soie, et, pour donner une prime à ses manufactures naissantes, renforce les prohibitions déjà écrites dans son absurde tarif. Les États-Unis, qui approvisionnaient l’Europe de coton et de tabac, et qui étaient, comme la Russie, une immense manufacture de matières premières, viennent de décréter, dans l’intérêt des ateliers et des usines de la Nouvelle-Angleterre, un tarif qui élève les droits de douane à la limite moyenne de 30 pour 100. En Allemagne pareillement, l’intérêt manufacturier a prévalu sur l’intérêt agricole, en attirant à lui les capitaux et en faisant restreindre par les tarifs de douane le mouvement des importations. Tout récemment, le congrès de l’union allemande, réuni à Stuttgard, vient, à l’instigation de la Prusse, d’augmenter de plus de 60 pour 100 les droits établis sur les étoffes de laine et sur les mélanges de laine et coton importés de l’étranger. L’Angleterre enfin, tout en exposant, par une tentative hardie, ses produits manufacturés à la libre concurrence, persiste à couvrir son agriculture, base de son aristocratie, d’une protection qui ferme les ports du royaume-uni aux blés de la mer Noire, de la Baltique et des États-Unis. La France elle-même, en rehaussant le tarif des lins et des toiles par l’ordonnance du 28 juin 1842, a donné un encouragement positif aux partisans