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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/492

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REVUE DES DEUX MONDES.

c’est à introduire des tabacs belges et hollandais en France que l’on emploie ces légions de chiens fraudeurs que notre administration des douanes signale dans ses rapports. Pour combattre l’infiltration des tabacs étrangers, la régie a imaginé de faire vendre, dans le rayon des douanes, des tabacs à prix réduit, dits tabacs de cantine ; mais la contrebande déjoue cette concurrence en important des qualités supérieures qui se vendent encore à meilleur marché. En résumé, les 4 ou 5 millions de kil. qui pénètrent en France par la frontière belge, soit en obligeant la régie à réduire ses prix dans les lieux de grande consommation, soit en enlevant une partie de la consommation, diminuent les recettes du trésor français d’environ 20 millions de francs. On voit ce que la régie gagnerait à l’union commerciale de la Belgique avec la France ; la simple extension du monopole au royaume belge donnerait sur le champ à l’impôt chez nous une plus value d’un cinquième environ.

Le gouvernement belge n’y gagnerait pas moins. Le régime du monopole, portant sur une consommation supplémentaire de 4 millions de kilogrammes, donnerait un accroissement de 12 à 15 millions dans le revenu brut de l’impôt. En admettant ainsi que le revenu net s’élevât à 100 millions de francs pour les 40 millions d’habitans que comprennent la France et la Belgique, le trésor belge recevrait, pour sa part, tous frais déduits, une somme ronde de 10 millions[1] ; et, comme le revenu de la Belgique, déduction faite des frais de perception, n’excède pas 80 millions de francs, ce serait une augmentation d’un huitième dans les ressources du pays, une somme égale à l’intérêt de la dette publique et de l’amortissement. La Belgique, ayant achevé ses chemins de fer, et portant ainsi ses recettes au niveau de ses dépenses ordinaires, n’aurait plus besoin d’emprunter. On assurerait son existence en consolidant son crédit.

Il ne faut pas se dissimuler que, pour aboutir à un résultat commun dans le régime des tabacs, la France et la Belgique partiraient de deux points opposés. Non-seulement le monopole est d’un côté tandis que la liberté est de l’autre ; mais, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, le régime de la liberté s’est acclimaté en Belgique avec un succès presque égal à celui que le monopole obtient aujourd’hui en France, après bien des vicissitudes et à travers mille difficultés. L’importation du monopole en Belgique, avec son cortége de formalités, de servitudes, et même de vexations, ne soulèvera-t-elle ni résistance, ni répulsion ? Le gouvernement belge paraît disposé à tenter cette grande expérience. La chambre de commerce de Mons a déclaré, dans l’enquête de 1840, que la nécessité de subir le monopole du tabac n’avait rien qui l’effrayât. Reste à savoir si le peuple qui consomme et les débitans qui vendent se résigneront, avec une égale facilité, à payer le tabac deux fois

  1. Si le monopole du tabac doit être plus productif en Belgique qu’en France, proportionnellement à la population, il ne faut pas oublier que la surveillance y sera infiniment plus coûteuse, et que, dans l’union douanière, les frais ainsi que les bénéfices sont mis en commun.