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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/493

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DE L’UNION COMMERCIALE.

ce qu’ils le paient aujourd’hui. « En Belgique, dit M. de la Nourais[1], le tabac se vend partout, presque à toutes les portes. Un individu qui ne sait ou ne peut rien faire, se fait marchand de tabac. »

Le monopole du tabac ne peut pas s’établir en Belgique sans froisser l’industrie et la consommation. Ce sera une violence faite au pays par son gouvernement ; mais la nécessité politique le veut. Ajoutons que la nation belge, qui se distingue principalement par son bon sens, ne mettra pas ce déplaisir en balance avec les avantages importans et nouveaux que l’union doit procurer à l’ensemble de ses industries. Il ne faut pas croire d’ailleurs que le monopole du tabac soit envisagé aujourd’hui en Europe sous le même aspect qu’il empruntait, dans l’esprit des populations, aux circonstances au milieu desquelles Napoléon en 1810 eut à le reconstituer. Le monopole existe, à l’état de ferme, en Portugal, dans le royaume de Naples, en Toscane, en Pologne et dans le Valais, à l’état de régie en Espagne, en Piémont, en Autriche, dans le duché de Parme et dans les états romains ; en y comprenant la France, il occupe donc plus de la moitié de l’Europe, et les peuples qui s’y trouvent soumis, ne sont pas à beaucoup près les plus malheureux.

En France, la force des choses a conduit à l’établissement du système qui est en vigueur. Le régime de la libre concurrence, surmontée d’un droit de douane sur les tabacs étrangers et d’un droit de consommation sur les tabacs indigènes, n’a pas pu se soutenir. Il donnait lieu à une fraude tout aussi considérable, et il restait absolument improductif pour le trésor. La ferme des tabacs avait rendu 30 millions de francs en 1790 ; en 1804, l’impôt ne produisait pas 6 millions. Il était devenu manifeste qu’on ne pouvait affranchir la fabrication et le commerce du tabac qu’en renonçant à le considérer comme une matière imposable et à prélever sur cette consommation la part du fisc[2].

La Belgique fournit elle-même une nouvelle preuve de cette vérité ; car, si l’industrie du tabac y jouit d’une liberté entière, cette industrie en revanche échappe complètement à l’action du fisc. Et pourtant le tabac est une matière essentiellement imposable. Il rentre dans la catégorie des besoins de luxe, de ceux que l’impôt, quand il peut les atteindre, doit obliger de préférence à payer tribut à l’état. On impose le sel, si nécessaire à la nourriture du pauvre ; on impose le sucre, dont l’usage dans la vie domestique n’est pas moins ré-

  1. De l’Association douanière entre la France et la Belgique.
  2. Le préambule du décret rendu le 29 décembre 1810, et qui contient les bases du régime en vigueur, s’exprime ainsi : « Les tabacs, qui, de toutes les matières, sont les plus susceptibles d’impositions, n’avaient pas échappé à nos regards ; l’expérience nous a démontré tous les inconvéniens des mesures qui ont été prises jusqu’à ce jour. Les fabricans étant peu nombreux, il était à prévoir que l’on serait encore obligé d’en réduire le nombre. Le prix du tabac fabriqué était aussi élevé qu’à l’époque de la ferme générale. La plus faible partie des produits entrait au trésor, le reste se partageait entre les fabricans. À tant d’abus se joignait celui que les agriculteurs étaient à leur merci. »