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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/508

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REVUE DES DEUX MONDES.

seule puissance de l’activité et de l’économie, avec Verviers, qui a une expérience plus ancienne et des moyens beaucoup plus puissans, est bien propre à prouver que l’argent ne tient pas lieu de tout dans l’industrie.

Nous croyons en avoir assez dit pour établir que la concurrence des draps belges n’affecte pas ces proportions formidables que lui prête l’imagination alarmée de nos manufacturiers. Mais il est clair que, par suite de l’union commerciale, ces draps entreront en France. Quelle place prendront-ils dans la consommation intérieure ? voilà toute la question.

On a déjà fait observer[1] que, dans la production des draps, la France occupait les deux positions extrêmes : que les draps de Louviers, d’Elbeuf et de Sédan l’emportaient sur les produits des fabriques étrangères, par la finesse, par l’éclat et par la solidité ; tandis que les draps du midi, ceux de Lodève, de Castres, de Limoux, d’Alby, de Châteauroux, s’adressaient par leur bas prix aux régions inférieures de la consommation. S’il était vrai maintenant que la France ne fabriquât pas les qualités intermédiaires, et qu’elle n’eût rien de comparable, sous ce rapport, aux draps légers, apparens mais peu durables de Verviers, qui vont à l’adresse des classes moyennes, l’avenir de notre production nous paraîtrait quelque peu menacé. En effet, ce sont les classes moyennes qui fournissent en France particulièrement la masse des consommateurs ; et la clientelle de Verviers, si aucune autre fabrique ne lui disputait cette fourniture, serait ainsi de beaucoup la plus considérable et la plus assurée sur notre marché. Mais Elbeuf, Louviers et Carcassonne produisent aussi les qualités intermédiaires, et n’ont pas de grands efforts à faire pour rivaliser avec les produits que les Belges pourront importer chez nous.

Concluons, avec la chambre de commerce de Bordeaux, que les draps belges trouveront des consommateurs en France ; mais que, par compensation, nos draps fins, qui sont recherchés en Belgique à cause de leur supériorité, y entreront en plus grande quantité, et que nos autres articles de laine, tels que les casimirs imprimés, les mérinos, les mousselines, etc., y obtiendront un débouché plus considérable, en éloignant les Allemands et les Anglais d’un marché où ceux-ci importent leurs produits similaires pour plus de 12 millions. Nous finirons par une dernière considération. Dans l’enquête de 1834, M. Lefort, tout en protestant contre la perspective d’un traité qui lui eût donné pour concurrens les anglais et les Belges, convenait que les difficultés pouvaient disparaître, si l’on agrandissait les perspectives, et si l’on étendait à d’autres peuples de l’Europe le système des concessions réciproques. C’est là précisément ce que nous demandons ; dans notre pensée, l’union de la France et de la Belgique n’est que la pierre d’attente d’une association plus vaste qui comprendra aussi l’Espagne, la Suisse et la Savoie ; et cette perspective nous paraît assez grande pour offrir à ceux de nos industriels qui se croiraient momentanément lésés, d’amples consolations.

  1. M. de la Nourais, De l’association douanière.