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reine, quand elle est tombée, voulait assurer la paix publique et la rendre féconde par une réorganisation administrative. La loi sur les ayuntamientos, loi vraiment libérale s’il en fut, était un premier pas dans cette voie ; on ne le lui a pas permis. Ce qui est le propre du gouvernement actuel, c’est le despotisme militaire et la continuation du désordre administratif et financier. Le reste n’est pas de son fait, c’est le produit de toute l’histoire d’Espagne depuis le commencement de ce siècle, et surtout de la régence de Marie-Christine.

L’ancien parti modéré ne doit pas perdre de vue ces faits, qui sont sa gloire. D’après quelques indices qui nous parviennent, il semblerait que quelques membres de ce parti, cédant à l’impatience douloureuse que donne l’oppression, et à cette chaleur d’imagination naturelle aux Espagnols, montrent quelques dispositions à abandonner les principes qui les ont conduits, disent-ils, où ils en sont. Ce serait de leur part une faute immense et tout-à-fait irréparable. Ceux qu’on a appelés dans ces derniers temps les modérés sont les premiers, les anciens auteurs de la révolution espagnole. La plupart d’entre eux ont souffert pour la liberté avant de souffrir pour l’ordre. Ils sont en Espagne aux coryphées de septembre ce qu’étaient en France les hommes de 1789 aux hommes de la frénésie républicaine de 1793 ou de la servilité impériale de 1804. Ce sont eux qui ont fondé la société nouvelle ; avec combien de périls, d’efforts, de sacrifices, chacun le sait ; ils doivent en rester les plus sûrs et les plus généreux défenseurs. Entre eux et les abus de l’ancien régime, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais rien de commun. Qu’ils attendent donc avec confiance ; la société nouvelle produira tôt ou tard son gouvernement. Déjà les idées de liberté vraie et de gouvernement régulier paraissent avoir converti secrètement quelques-uns des exaltés eux-mêmes. Les ayacuchos et les doceañistas (on appelle ainsi en Espagne les partisans de la constitution de 1812) ont formé un club qu’ils ont appelé la société de la templanza, comme qui dirait de la modération. C’est déjà quelque chose que d’avoir pris le nom des modérés, on en viendra peut-être un jour à prendre leurs idées.


V. de Mars.