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REVUE. — CHRONIQUE.

En attendant que le gouvernement s’arrange, la société se transforme visiblement. Il y a trente ans que l’Espagne, à l’exemple de la France, a entrepris de faire dans son sein une révolution. Cette tentative, fort légitime assurément, car l’ancien régime était tout-à-fait vermoulu, a eu des phases diverses ; elle a fini cependant par s’accomplir. Les derniers coups ont été portés sous la reine Christine, par la suppression des anciennes lois féodales, l’abolition des ordres monastiques, l’établissement d’un gouvernement constitutionnel, et enfin l’expulsion définitive de l’ancien régime personnifié dans don Carlos. Ces dernières victoires de la société nouvelle sur l’ancienne n’ont pas été obtenues sans beaucoup d’efforts. Il est remarquable que, malgré les essais de régénération tentés depuis trente ans, les principaux appuis du vieux système social, comme les droits seigneuriaux, les lois qui immobilisaient les fortunes nobiliaires, les grandes propriétés ecclésiastiques, aient tenu bon jusqu’à ces derniers temps. Le résultat est maintenant obtenu, et, sous le rapport des mesures révolutionnaires, il n’y a plus rien à faire. Tout l’ancien régime est à bas.

La guerre civile est finie aussi. Don Carlos et ses adhérens, après une lutte longue et acharnée, ont été chassés de la Péninsule. Le moment est donc venu, moment inévitable après toutes les révolutions et toutes les guerres civiles, où la société nouvelle se forme sur les ruines de l’ancienne.

En septembre 1840, la situation générale de l’Espagne ressemblait beaucoup à celle de la France à l’avénement du consulat. Si Espartero avait eu, comme Bonaparte, le sentiment profond de la situation, il aurait aisément fondé un gouvernement. Le pays aspirait à l’obéissance ; l’agitation qui survivait à l’effort suprême contre don Carlos, comme il arrive toujours après un grand élan, aurait promptement disparu sous le vent de l’épée du vainqueur. On aurait pu voir alors renaître les miracles que la France a vus de 1800 à 1804. La société nouvelle ne demandait qu’à s’asseoir ; il aurait suffi de lui en fournir les moyens. On aurait pu créer l’administration, organiser la justice, constituer les finances, car, il ne faut pas se lasser de le répéter, l’administration, la justice, les finances, voilà quels sont désormais les besoins de l’Espagne. Il est malheureux qu’Espartero ne l’ait pas voulu, mais il n’a fait que retarder le mouvement de la société. Il faut qu’elle se recompose, quoi qu’on fasse.

Un des symptômes qui prouvent le plus à quel point l’ancien régime est décidément mort, c’est la vente des biens du clergé ; ces biens se vendent parfaitement et souvent par petits lots. Il y a là toute la révélation d’une société nouvelle. Un tiers-état se fonde en Espagne, cela est évident ; en même temps, par la révocation des lois insensées qui régissaient les propriétés nobiliaires, la liquidation des grandes fortunes a commencé.

Toutes ces causes, qui, en apaisant les nécessités révolutionnaires, ont amené le calme du pays, sont antérieures à la révolution de septembre. La seule différence entre la régence d’Espartero et celle de Christine, c’est que la