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LE CONNÉTABLE DU GUESCLIN.

annuel de quarante jours, et l’on avait vu dans les circonstances les plus critiques les montres se débander parce que ce terme se trouvait outrepassé.

Pour obvier à cet inconvénient, nos rois prenaient donc à leur solde, autant que le leur permettaient leurs faibles ressources financières, de nombreuses compagnies de routiers, gens de sac et de corde, qui, ne pouvant après la paix se reclasser dans l’un des compartimens de cette société dont la puissante hiérarchie leur imposait un mur d’airain, se trouvaient, par la force des choses, en guerre ouverte avec elle. Ces bandes nombreuses de pillards et d’incendiaires allaient de province en province, détroussant les passans, rançonnant châteaux et moustiers, sous la conduite de guerriers avides et de pauvres chevaliers sans patrimoine. Ils donnaient l’assaut aux bonnes villes, ravageaient les campagnes, et commettaient des crimes dont la description ne se lit pas sans horreur dans les écrits contemporains. Appelés Brabançons parce qu’ils prirent naissance en Brabant, à la suite des guerres de Flandre, coteraux, à raison de leur courte épée ; plus connus encore, au temps de Du Guesclin, sous le nom de routiers ou tard-venus, ces hommes, organisés en grandes compagnies, étaient devenus la terreur des princes et des peuples, l’obstacle insurmontable à l’établissement de tout gouvernement régulier. La longue guerre dont la France était le théâtre depuis le règne du premier Valois en avait démesurément augmenté le nombre, de telle sorte que le royaume tout entier était à leur merci.

Les chefs des compagnies, au moment où Charles V conçut la pensée d’en délivrer le royaume, n’étaient rien moins que les meilleurs gentilshommes et les plus renommés chevaliers de leur temps. C’étaient le Bègue de Vilaine, Ives de Caverley, Arnoult de Cervolles, dit l’archiprêtre ou l’archidiable, Mathieu de Gournay, Bernard de Lasalle, Gaultier Huet, le vicomte d’Auxerre, les frères de Mauny, et tant d’autres guerriers dont les exploits figurent aux grandes chroniques. Ces terribles bandes venaient de mettre en déroute une armée royale en jetant sur le carreau le duc de Bourbon et son fils. Elles avaient pris depuis lors un accroissement effrayant, et dans l’état d’affaiblissement, pour ne pas dire de dissolution où était le royaume après les guerres de Navarre et de Bretagne, on ne pouvait songer à engager une lutte avec elles. Il fallait donc s’emparer des compagnies en gagnant leurs chefs, en finançant avec eux ; il fallait trouver hors du royaume une œuvre qui pût les tenter, il s’agissait surtout de leur envoyer pour intermédiaire, en essayant