Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/612

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
608
REVUE DES DEUX MONDES.

de ce prince. La noblesse espagnole presque tout entière aspirait à un changement, et l’instant était venu d’essayer, avec le concours de la France, une entreprise dont le résultat touchait aussi directement à ses intérêts au-delà des Pyrénées, et à l’honneur de sa maison royale.

L’Espagne était alors le pays des prestiges et de la chevalerie. Passer les monts, c’était commencer une croisade, car on rencontrerait bientôt devant soi les Sarrasins de Grenade, amis et alliés de Pierre-le-Cruel, sorte de renégat et de nécroman dont la lointaine renommée rapportait d’étranges nouvelles. Des royaumes à conquérir, des Maures à pourfendre, une belle reine à venger, de l’argent à gagner, et l’absolution à enlever de vive force au passage, comment ne pas réussir avec une telle perspective et avec un chef comme Du Guesclin ?

On sait le résultat de la double expédition conduite dans la Péninsule avec une si rare prudence et un génie militaire inconnu jusqu’alors. Personne n’ignore comment Henri de Transtamarre s’assit une première fois sur le trône de Castille pour en tomber bientôt sous les efforts d’une formidable expédition anglaise, conduite par le Prince Noir, pour renverser le roi élevé par la France. On sait aussi comment les fautes et les crimes de don Pèdre rendirent, bientôt après, des chances à son rival, qui, après une laborieuse campagne, dirigée par Du Guesclin comme commandant en chef des troupes françaises et castillanes, finit enfin par conquérir la possession d’un trône ensanglanté par un fratricide.

Les deux expéditions de 1365 et de 1368 sont l’un des premiers exemples qui se rencontrent dans notre histoire d’une opération difficile et lointaine conçue dans la pensée d’une influence extérieure à conquérir et à conserver. Du Guesclin sut maintenir parmi les aventuriers chargés de cette entreprise autant d’ordre et de discipline qu’en comportaient les temps. Ces troupes de pillards rentrèrent en France transformées en soldats ; ils devinrent, sous la main de l’homme dont l’unique préoccupation consistait à prêter aide et puissance à son roi, le noyau permanent de cet établissement précieux qui allait bientôt changer la face de la monarchie. On sait comment Charles VII, profitant de la force que lui avait prêtée Jeanne d’Arc, comme son aïeul de celle qu’il avait reçue de Du Guesclin, compléta, par la mémorable ordonnance de 1448, l’organisation qu’avait commencée ce grand homme, en créant un rôle militaire par paroisse, et en instituant les compagnies d’ordonnance dans lesquelles se précipita bientôt toute