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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/638

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par lettres et avec les morts dans leurs livres. Ma sœur est une compagne adorable, mais ce n’est plus une compagne, c’est moi-même. Nous n’avons rien à nous apprendre mutuellement. Nos connaissances, nos plaisirs viennent des mêmes sources. Nous avons lu les mêmes livres, vu les mêmes gens, fait les mêmes choses et contracté les mêmes goûts. Elle est malingre comme moi ; je suis ami de la solitude comme elle. Dans notre petit cercle de devoirs et de relations, sans amis, presque sans livres, pieux l’un et l’autre, mais n’ayant pas l’habitude des pratiques dévotes, nous sommes bien isolés, et il nous faut des lisières pour que nous ayons le courage de marcher encore. Continuez, cher Coleridge, à vous souvenir de nous, et à nous laisser voir que vous vous souvenez de nous. Je ne puis ajouter à votre bonheur que ma sympathie. Vous pouvez bien davantage pour le mien, vous pouvez m’apprendre la sagesse. » — « Je n’ai rien à vous écrire, dit-il dans une autre lettre, point de sujet à traiter ; je ne vois personne. Je reste assis, je lis, je me promène seul ; je ne sais, n’apprends, n’entends rien. Quant à la gloire, elle ne pense pas à moi, ni moi à elle. Je ne suis pas né dans mon temps ! » — Pauvre Lamb ! tout ce qui est exquis et rare n’appartient pas à son temps, mais au temps.

Dans sa première jeunesse, une jeune quakeresse, d’une figure charmante et d’une vivacité d’esprit que rendait plus piquante encore la sévérité du costume et des mœurs, Hesther Savory, lui avait inspiré un sentiment vif et passionné qui l’avait captivé plusieurs années ; le pauvre homme, avec son bégaiement incurable et sa disproportion bizarre, n’avait jamais osé l’avouer à celle qui en était l’objet. Hesther demeurait à Pentonville ; tous les matins d’été, elle se promenait sur le mail. Lamb ne manquait pas de s’y rendre, sans jamais lui dire un mot de son amour. Ce fut une grande épreuve, on peut le croire, que cette passion, ce silence et cette conscience de son humble infériorité, chez une ame aussi tendre et pour un homme aussi supérieur. Cette torture, à laquelle il survécut et qui le désabusa pour toujours, fut mère de ses plus aimables et de ses meilleures poésies. Quand il les recueillit et les publia, il écrivit à Coleridge : « Ainsi je dis adieu, et sans plus de pompe, à un amour cruel qui a régné si royalement et si long-temps sur moi ; c’est ainsi que je le couronne de lauriers, que je le renvoie triomphalement, et que je le mets solennellement à la porte, heureux et bien joyeux de ne plus ressentir cette faiblesse. Je suis marié au sort de ma sœur et de mon pauvre vieux père, cher Coleridge ! » Cependant en 1803, lorsque