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me surprendre : depuis long-temps je le regardais comme un véritable catholique, et en effet il l’était par ses idées, par ses démarches, par son entourage ; de la sorte j’envisageais d’avance avec calme le tumulte qui devait finir par jaillir de la manifestation ultérieure de nos secrets malentendus. »

Quant à la comtesse Auguste, il conserva d’elle, jusqu’à la fin, un souvenir plein de respect, mais trop intimement lié à certaines circonstances de jeunesse pour qu’il ne s’y mêlât point quelque amertume à mesure qu’il avançait en âge. Elle, de son côté, ne se démentit pas dans son affection. Elle était de ces ames pieuses pour lesquelles un premier sentiment reste sacré lors même qu’un développement ultérieur, qu’elles ne peuvent adopter, les éloigne dans la suite de l’ami d’autrefois. Nous avons vu dans Auguste l’espiègle jeune fille, l’aimable enfant inspirant, sans le vouloir, une passion tout idéale dont elle accepte gaiement l’hommage sans fol empressement ni pruderie, en personne d’esprit et de cœur ; je voudrais maintenant montrer chez elle la femme austère, la puritaine qu’un soin religieux préoccupe. Quelques passages d’une lettre de Mme de Binzer, que la comtesse Auguste devait plus tard instituer dépositaire de sa correspondance avec Goethe, indiqueront ici, mieux que nous ne pourrions le faire, certains reliefs de cette noble figure de matrone affable et souriante en son rigorisme.

« J’ai passé hier la soirée chez la vieille comtesse Bernstorf (Kiel, 28 mai 1830). Décidément je ne saurais voir cette femme sans éprouver un sentiment de respect et de vénération profonde. Quelle noblesse et quelle dignité sur ce visage que le temps a pu flétrir, mais dont il n’enlèvera jamais le caractère auguste ! Que de bienveillance et d’aimable résignation sur ce front couronné d’épaisses boucles de cheveux blancs ! La comtesse est petite ; mais tant de dignité, d’élévation respire dans son air ! Sa simplicité surtout, sa douceur angélique me ravissent. Je ne saurais dire combien j’ai en moi de sympathie pour ces natures délicatement pieuses qui, sous les dehors de la plus discrète tolérance, n’en conservent pas moins dans l’ame d’inébranlables convictions, qui mettraient plutôt en doute la renaissance des fleurs au printemps que la résurrection au dernier jour, et qui, laissant de côté toutes ces nuances frivoles dont nous nous payons, ne reconnaissent en fin de compte que deux choses, le bien et le mal, l’honnête et le déshonnête. Bien loin de blâmer à tout propos, elles travaillent à convertir chacun, car c’est pour elles une affaire de cœur de chercher à procurer aux autres la paix profonde dont elles jouissent. Nul malheur ne les abat, nulle perte ne les décourage. Ce que ce monde leur refuse, elles espèrent le retrouver dans l’autre, et n’aperçoivent au-delà des portes funèbres du tombeau qu’un royaume divin plein de joie infinie où il y a place pour tous, et où elles voudraient tous entraîner avec