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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/812

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REVUE DES DEUX MONDES.

L’état actuel de nos mœurs a presque entièrement détruit l’intérêt de la police dans le grand monde et dans les salons. Ce n’est point là que l’on conspire. Des institutions qui font concourir au gouvernement une foule de citoyens dans le parlement et dans les conseils électifs, et lui donnent pour appuis tous ses coopérateurs, ont supprimé les complots qu’une monarchie absolue voit éclater quelquefois dans le palais du souverain. Les progrès de la démocratie ont fait descendre dans les rangs les moins élevés les pensées de conspiration, et l’hostilité contre le gouvernement se traduit en révoltes et en attentats sur nos places publiques. Autrefois la police des salons s’attachait surtout à interroger l’opinion, qu’une presse bâillonnée ne pouvait reproduire, et à suivre certains hommes qu’une prison d’état pouvait à tout moment réduire à l’impuissance ; aujourd’hui, grace à Dieu, les journaux sont libres et les prisons d’état abolies. Chaque parti révèle tous les matins dans ses gazettes ses espérances et ses craintes : les adversaires du gouvernement sont connus et avoués, et les plus éminens prennent la tribune politique pour la confidente assez peu discrète de leurs griefs et de leur hostilité. Au milieu des lumières d’une telle publicité, qu’apprendrait d’essentiel une police secrète dans les salons ?

Il est interdit à la police politique de servir jamais des intérêts purement ministériels ou privés. Son intervention n’est nécessaire et par conséquent légitime que quand elle s’applique à des actes dangereux ou punissables. Il y aurait une sorte de prévarication à dépenser ses ressources pour un vil espionnage personnel, pour observer de simples adversaires politiques et pour y chercher un texte à des accusations de parti ou à de méprisables récriminations.

Quand tous les rapports sont faits, tous les renseignemens réunis, tous les résultats coordonnés, commence le rôle du magistrat qui la dirige. C’est à son esprit politique de tirer les conséquences des faits révélés, d’ordonner les mesures qu’ils commandent. Si ces faits constituent un crime ou un délit, si des preuves suffisantes peuvent être obtenues, si le retentissement d’un procès n’est pas plus nuisible qu’avantageux, la justice doit être saisie, et l’administration, après lui avoir transmis ses documens, la laisse accomplir librement son ministère. Le plus souvent néanmoins, les élémens d’une poursuite judiciaire sont absens ; le gouvernement est convaincu, mais la justice n’acquerrait point une certitude légale. Alors mille embarras arrêtent l’administration ; une terrible responsabilité pèse sur elle ; elle connaît le complot et ne peut ni en faire punir les auteurs, faute de preuves,